Le Journal de Nuremberg, carnet de bord du psychologue Gustave Gilbert


Le Journal de Nuremberg – Résumé

En 1945, le psychologue américain Gustave Gilbert est envoyé à Nuremberg afin de prendre part au procès des criminels nazis. Il commence à les accompagner psychologiquement, recueillant leurs confidences entre les audiences.

Au fil des jours, Gustave Gilbert alimente son « Journal de Nuremberg », un véritable carnet de bord de ses échanges avec les prisonniers et de ses observations sur leur personnalité et leurs crimes.

Il en résulte un témoignage historique hors norme, aussi révélateur que glaçant sur la psychologie des chefs nazis, leurs motivations et leur attitude après la chute d’Hitler.


Auteur.
Taille du livre448 pages.
Note – ★★★★☆

Le Journal de Nuremberg, Gustave Gilbert

Le Journal de Nuremberg – Avis sur le livre

Au fil de mes lectures sur la Seconde Guerre Mondiale, je tombais toujours sur des citations tirées de ce livre : Le Journal de Nuremberg, de Gustave Gilbert. Mais impossible de mettre la main dessus ! Publié en 1947 par Flammarion, il ne semble pas avoir été réédité récemment et on le trouve donc seulement en occasion, à des tarifs parfois exorbitants.

J’ai fini par dénicher un exemplaire très bien préservé à la Librairie de Sèvres, qui m’a permis de me plonger enfin dans ce témoignage pas comme les autres.

L’auteur, Gustave Gilbert, est un psychologue américain né en 1911, fils d’immigrés juifs autrichiens. Diplômé en psychologie de la prestigieuse université de Columbia, il devient psychologue militaire pendant la Seconde Guerre Mondiale. En 1945, à seulement 34 ans, il est sollicité pour faire partie du Tribunal militaire international en raison de sa maîtrise de la langue allemande.

Aux côtés du psychiatre en chef Douglas Kelley, Gustave Gilbert commence alors à prendre en charge les chefs nazis placés sur le banc des accusés du procès de Nuremberg. Il leur fait passer des tests psychotechniques afin d’évaluer leur intelligence et leur capacité à comprendre le procès, recueille leurs confidences et réactions entre les audiences, et ce jusqu’au verdict.

Il consigne dans ce livre toutes ses observations mais aussi toutes les conversations qu’il a eues avec les prisonniers… La notion de « secret professionnel », si importante de nos jours, paraît relativement absente ici, peut-être en raison de la nature exceptionnelle du procès et de l’identité des accusés… et il en résulte une plongée assez inhabituelle dans la personnalité des chefs nazis.

Bien entendu, il faut donner au livre la valeur d’un témoignage dans la mesure où les propos n’ont pas été enregistrés ou même notés en temps réel mais simplement retranscrits par Gustave Gilbert après chaque conversation.

Gustave Gilbert échange avec les accusés

Un traité de psychologie à part entière

Les réactions des prisonniers à l’acte d’accusation, que l’on découvre dès le début du Journal de Nuremberg, concentrent en quelques phrases les personnalités que l’on va suivre durant plus de 400 pages : Hermann Goering et son cynisme fanfaron, Ribbentrop et sa faiblesse psychologique, Hess victime d’une « amnésie » mystérieuse, Hans Frank et sa conversion religieuse, Seyss-Inquart et sa froideur, Streicher le fanatique qui qualifie le procès de « triomphe de la juiverie mondiale »…

Gustave Gilbert ne se prive pas de donner son avis sur les accusés et si vous avez étudié la psychologie, vous découvrirez des tableaux cliniques assez « typiques » et évidemment glaçants.

Par exemple, Goering apparaît très vite comme un homme qui recherche la lumière et exerce un contrôle mental extrêmement puissant sur son entourage, au point que les responsables de la prison sont obligés de l’isoler du reste du groupe afin de limiter ses manipulations.

Son narcissisme pathologique est tel que lorsqu’un film montrant les atrocités commises dans les camps de concentration est projeté, tout ce qu’il retient est le fait que le film lui ait fait de l’ombre.

« C’était une si bonne après-midi, jusqu’à ce qu’ils montrassent ce film. Ils lisaient toutes mes conversations au téléphone au sujet de l’affaire d’Autriche, et tout le monde riait avec moi. Et puis ils ont montré cet horrible film, et ça a vraiment tout gâché ».

A un autre moment, il commente le procès en ces termes : « Le colonel ne devrait pas perdre de vue qu’il a affaire ici à des personnages historiques. Que nous ayons raison ou tort, nous sommes des personnalités historiques, et lui n’est rien ».

Il n’y a qu’à la toute fin qu’il se départit de sa belle assurance et Gustave Gilbert le commente en ces termes : « Goering paraît se rendre compte, enfin, qu’il n’y a rien de drôle dans la mort, quand on est celui qui va mourir ».

Hess manifeste un tableau clinique typique de l’hystérie telle qu’elle a pu être décrite par Freud : il présente énormément de symptômes physiques sans assise biologique (il perd la mémoire, souffre de crampes ou se convainc qu’on lui a donné des biscuits qui lui provoquent des maux de tête), il semble essayer de susciter la compassion, se laisse facilement influencer et a parfois des réactions exagérément dramatiques…

Ribbentrop apparaît comme une personnalité extrêmement suggestible et est âprement critiqué par les autres pour sa faiblesse d’esprit. Frank le qualifie ainsi de « pauvre nigaud » et de « flagorneur ignorant », Goering le trouve « stupide et faible »…

Streicher… Streicher… est complètement malade. Il est littéralement obsédé par ses idées antisémites, au point que même les autres nazis le considèrent comme un fanatique. Gilbert lui-même ne peut s’empêcher de manifester son dégoût : « Un quart d’heure avec cet esprit perverti est à peu près tout ce qu’on peut supporter, et le thème ne varie jamais ». Plus loin dans le livre, il oublie même toute réserve et le qualifie de « fanatique imbécile ».

Hitler serrant la main de Julius Streicher

Gilbert relate une discussion totalement lunaire avec Streicher, qui estime qu’il est possible de reconnaître un Juif à certaines caractéristiques physiques, en particulier à son postérieur « doux et féminin » qui « se dandine quand ils marchent ». S’il n’y avait pas un génocide derrière ce genre de déclaration, on rirait presque de leur incongruité.

On a parfois l’impression que Streicher se croit dans un zoo… et il finit même, vers la fin du procès, par reconnaître aux Juifs un certain courage au point de souhaiter « être accepté comme l’un des leurs », s’estimant légitime à rejoindre les rangs des Juifs parce qu’il « connaît la juiverie » et qu’il « les a étudiés si longtemps, qu’il pense s’être adapté à leurs caractéristiques ».

La notion de quotient intellectuel est également abordée dans le livre. Tous les accusés ont en effet subi des tests de Q.I. et la plupart présentaient une intelligence supérieure à la moyenne, plusieurs ayant même des QI supérieurs à 130 (dont Goering, Schacht…). Gilbert rappelle à cette occasion que le Q.I. n’est qu’une évaluation de « l’efficience mécanique de l’esprit, et n’a rien à voir avec le caractère et les valeurs morales ».

Je crois qu’on n’a pas besoin de cette remarque pour le constater ; il est néanmoins intéressant de noter que les chefs nazis étaient pour la plupart très loin d’être des simples d’esprit, ce qui les a probablement rendus encore plus dangereux.

Une vision très différente de la responsabilité

Loin de présenter un front uni, les accusés expriment au contraire de profonds clivages, n’hésitent pas à se critiquer les uns les autres, qu’il s’agisse de leur « honneur » ou de leur responsabilité dans les atrocités de la guerre… On a parfois l’impression que c’est l’hôpital qui se moque de la charité.

Une division nette se forme entre les militaires présents sur le banc des accusés et les politiciens. Les militaires mettent en avant l’idée qu’ils ne pouvaient faire autrement que suivre les ordres. L’un des témoins déclare ainsi :

« Que pouvais-je faire ? Je n’étais qu’un petit homme sans importance. Cela ne me concernait guère. Ces choses-là ont été faites sur les ordres venant des grandes autorités ».

Hans Frank dit lui aussi :

« Les soldats n’y peuvent rien. Ce sont les politiciens qui ont fait un mauvais usage de l’honneur des soldats. Ceux-ci ne peuvent qu’obéir aux ordres ».

Voilà qui intéressera tous ceux qui se questionnent sur la soumission à l’autorité !

Plusieurs accusés se retranchent ainsi totalement derrière l’idée qu’ils n’étaient que de petites mains… ou qu’un ordre a été donné par une personne plus haut placée… ou qu’ils ne s’imaginaient pas que de telles horreurs avaient lieu dans les camps de concentration… ou qu’ils « n’avaient pas le choix » car on les aurait fusillés s’ils s’étaient opposés au régime nazi.

Le nazisme, ou la culture de l'obéissance

Keitel déclare par exemple :

« Un officier ne peut pas se dresser devant le Führer, son commandant en chef, et élever une objection ! Nous ne pouvons que recevoir des ordres et obéir ».

Jodl s’inscrit aussi dans cette mouvance :

« Je ne vois pas comment on peut ne pas reconnaître l’obligation qu’a un soldat d’obéir aux ordres. C’est le code sous lequel j’ai vécu toute mon existence ».

Goering lui-même affirme ne pas avoir pris la pleine mesure des atrocités :

« Je vois bien que le peuple allemand sera pour toujours condamné à cause de ces brutalités. Mais ces atrocités étaient si incroyables, même le petit nombre que nous en apprîmes, qu’on parvint aisément à nous donner l’assurance que de pareilles histoires constituaient de la pure propagande.

Himmler avait ses psychopathes attitrés pour exécuter ses mesures, et le secret était gardé vis-à-vis de nous tous. Je ne l’aurais jamais cru capable de ces crimes ».

D’autres assument au contraire davantage leur responsabilité. Une responsabilité qui ne porte pas seulement sur le passé mais porte aussi sur le futur de l’Allemagne, une question qui préoccupe certains des accusés. Von Schirach, par exemple, qui a géré les Jeunesses Hitlériennes, se rend compte qu’il va falloir rééduquer la jeunesse allemande afin qu’elle renonce à des convictions qui ont été ancrées en elle depuis son plus jeune âge.

Fritzsche ne cache pas qu’il ressent une honte profonde face aux crimes dont on accuse l’Allemagne nazie.

Un rapport complexe à la figure d’Hitler

J’ai été frappée par le fait que malgré leur situation, rares sont les accusés qui ont incriminé directement Hitler, la plupart préférant rejeter la faute sur Himmler. Ils ont suivi pendant des années un homme qui les a menés à leur perte, au point qu’il est difficile pour eux de faire marche arrière dans leurs convictions.

Il en résulte une étonnante contradiction où certains sont parfois capables de reconnaître une part de responsabilité tout en étant incapables de critiquer l’homme qu’ils ont suivi aveuglément, à l’instar de Ribbentrop :

« C’est là une chose difficile à comprendre pour vous. Le Führer avait une personnalité terriblement magnétique. Vous ne pouvez pas l’admettre sans en avoir fait l’expérience. Savez-vous que maintenant même, six mois après sa mort, je ne peux pas secouer complètement son influence ?

Tout le monde était fasciné par lui. Même quand de grands intellectuels étaient réunis autour de lui, au bout de cinq minutes ils cessaient littéralement d’exister et l’éclat de la personnalité de Hitler les éclipsait tous ».

Ribbentrop avoue qu’il aurait été incapable de manifester une quelconque opposition :

« Je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais tout su de ces terribles assassinats de Juifs […]. Je me demande ce que j’aurais fait si j’avais été informé dès le début. Je ne sais pas. Je n’aurais pas pu m’opposer à Hitler. Il aurait fallu que je me suicide. Oui, cela aurait été la seule solution. […]

Il était devenu pour moi le symbole de l’Allemagne. Je vous l’ai dit, depuis que nous avons vu le film nazi à la Cour, s’il venait à moi maintenant, je ne pourrais vraiment pas le désavouer. Je pourrais ne plus le suivre, mais le renier, non, je ne pourrais absolument pas le faire. Je ne sais pas pourquoi ».

Frank oscille lui aussi entre regret et fascination :

« J’étais ministre à 30 ans ; je roulais en limousine, j’avais des domestiques. Je pense que je voulais rivaliser avec les chefs SS. Mais Hitler cultivait ce mal dans l’homme. Oui, c’était vraiment phénoménal. Quand je l’ai vu dans ce film au tribunal, ainsi que la construction du Parti, j’ai été encore entraîné un moment, malgré moi. Je suis un individu si impressionnable. Curieux.

On se trouve devant un tribunal, sous la pression de la culpabilité et de la honte. On se creuse la cervelle et on cherche des explications, s’accrochant à tout fétu de paille. Alors Hitler apparaît sur l’écran. Vous étendez le bras. […] Un moment, vous êtes intoxiqué et vous vous dites : peut-être. Mais cela passe ensuite ; vous ouvrez la main, et elle est vide, complètement vide ! La forte réalité de la honte monte sans cesse devant vous, jour après jour, dans une salle de tribunal tout à fait insensible. Dieu, quels niais nous sommes ! »

La manière dont il parle de Hitler fait parfois penser un sentiment amoureux :

« [Le peuple] idolâtre tant la virilité. […] Et c’était là le secret du pouvoir de Hitler. Il se levait, frappait du poing, et s’écriait : ‘Je suis l’homme‘ ; et il criait de toutes ses forces et de toute sa résolution. Et c’est ainsi que le public se livrait à lui avec un enthousiasme hystérique.

On ne doit pas dire que Hitler a violé le peuple allemand, il l’a séduit ! Le peuple l’a suivi avec une jubilation folle, jamais de votre vie vous n’avez rien vu de pareil ! C’est dommage que vous n’ayez pas assisté à ces jours fiévreux, Herr Doktor ; vous comprendriez mieux ce qui nous est arrivé. C’était une folie, une ivresse ».

Goering refuse jusqu’à l’absurdité de croire que Hitler ait été au courant de la Shoah.

Pour d’autres accusés au contraire, la désillusion est très amère. Schacht, par exemple, déclare :

« Cet Hitler n’avait aucune conception de la décence, de l’honneur et de la dignité. Il maintenait au pouvoir une écume criminelle et obligeait les hommes corrects à se démettre ou il les liquidait l’un après l’autre ».

Baldur Von Schirach parvient à concilier sa vision initiale du personnage et son évolution : il ne nie pas qu’il a été « illuminé par [Hitler] » lorsqu’il l’a rencontré pour la première fois. « J’allai faire mes études à Munich parce qu’il y était », admet-il. « Avant 1934, il était humain ; de 1934 à 1938, il était surhumain ; à partir de 1938, il devint inhumain« . À la barre, il assume son repentir et, évoquant la Shoah, déclare :

« C’est là l’assassinat en masse le plus grand et le plus diabolique de l’histoire. […] L’assassinat a été ordonné par Adolf Hitler. On peut le voir par son dernier testament. Lui et Himmler, ensemble, ont commis ce crime qui, pour tous les temps, constitue la tache la plus noire de notre histoire, une honte pour tout Allemand.

Ce fut mon crime, qu’il faut que je porte devant Dieu et devant la nation allemande, d’avoir éduqué la jeunesse de ce peuple ; de l’avoir soulevée en faveur d’un homme que, pendant bien des années, j’ai considéré comme un conducteur et un chef de l’État irréprochable ; d’avoir formé pour lui une jeunesse qui le voyait tout comme je le voyais moi-même. C’est mon crime d’avoir élevé la jeunesse allemande pour un homme qui a commis des millions d’assassinats ».

Keitel admet aussi avec amertume avoir été trompé :

« Maintenant que je vois où il m’a conduit, je peux seulement dire que je lui ai obéi de bonne foi et que ma loyauté et ma confiance ont été trahies ! […] Je vous assure que j’éprouve plus d’angoisses de conscience et que je me fais plus de reproches dans cette cellule que personne ne s’en doutera jamais. Je croyais si aveuglément en lui ».

Le livre de Gustave Gilbert est un récit brut qui alterne des transcriptions de conversations et des remarques personnelles. Il n’y a pas de mise en perspective historique donc il s’adresse plutôt à des lecteurs qui ont déjà une bonne connaissance des événements et du procès de Nuremberg.

Pour toute personne qui s’intéresse à la psychologie, c’est un document assez fascinant et je trouve qu’il serait intéressant de rééditer ce livre assorti d’un commentaire expert pour apporter davantage de contexte et d’analyse !

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