Boza – Résumé
A 15 ans, Petit Wat dit adieu à sa famille. Il quitte son bidonville près de Douala, au Cameroun, poussé par le fol espoir de « faire un boza ».
En d’autres termes, de rentrer en Europe pour y construire une nouvelle vie, loin de la misère.
Mais arriver à la frontière est un périple où beaucoup laissent leur vie. La franchir, un risque autant qu’une promesse.
Auteur – Ulrich Cabrel et Etienne Longueville.
Taille du livre – 378 pages.
Note – ★★★★☆
Boza – Avis sur le livre
Boza, coécrit avec Etienne Longueville, offre le témoignage rare de l’itinéraire d’un enfant migrant. Le roman offre l’opportunité aux lecteurs d’humaniser les récits qui font souvent la Une de l’actualité. De mettre un visage, une histoire, des émotions, des lieux sur un jeune homme qui, dans le cas contraire, ne serait resté qu’un chiffre de plus.
Pour laisser Ulrich, alias « Petit Wat », vous raconter son parcours, il est indispensable de commencer par oublier tout ce que vous pouvez nourrir comme préjugés sur les migrants. Leur monde, leurs règles, leur vécu n’ont que très peu de choses en commun avec celui d’un jeune grandissant dans un pays d’Europe.
« Tu veux savoir pourquoi je suis parti ? Comprendre ce qui m’a conduit à quitter mon pays et prendre la route de l’exil à quinze ans ? Mieux connaître le jeune que tu accueilles chez toi, histoire de te rassurer ? D’accord, je te raconte ; mais crois-moi, je ne fais jamais les choses à moitié. Je vais tout te confier et tu vas être renversé. Tu es prévenu ! N’oublie jamais que ce ne sont pas mes mots qui sont durs, c’est la réalité qui est brutale. Promis, je vais aussi te faire rire, je suis beau gosse et j’ai la tchatche.
Je te demande une seule chose : ne me juge pas, ça n’a pas de sens d’appliquer ta morale à ma vie. Déjà, arrête de me parler de choix, je n’ai rien décidé, il n’y avait pas d’alternative. Toi-même, peux-tu affirmer avec certitude que tu aurais agi différemment si tu avais été à ma place ? Une fois que je t’aurai tout dit, tu me répondras ».
Petit Wat a grandi à Bonoloka, un bidonville voisin de Douala, au Cameroun. Un lieu où l’on peut se battre à mort pour quelques centimes et où la lutte pour la survie commence dès le plus jeune âge. Les enfants volent, mendient, comprennent vite l’intérêt de se lancer dans un trafic – quel qu’il soit, pour peu qu’il rapporte.
Ils, sont, pour leurs parents, une source additionnelle de ressources dès qu’ils sont en âge d’apporter leur contribution au foyer. Qui pourrait se contenter de les percevoir autrement, dans un monde où la misère est omniprésente ?
Avec un langage coloré, teinté d’argot local, Petit Wat nous raconte cette vie de désœuvrement, où l’école est hors de prix et où tout se paie : les livres, le droit d’étudier, le droit d’être absent, aussi. Contre un billet glissé au surveillant dans le carnet de liaison, celui-ci ferme les yeux sur l’école buissonnière.
La plupart des gamins arrêtent à la fin de l’école primaire. La scolarité des filles est souvent sacrifiée au profit de celle des garçons. Dans la famille de Petit Wat, il est le seul à avoir le privilège de poursuivre l’école jusqu’au collège et, comme il le rappelle, « l’inscription se calcule en repas du soir supprimés ».
L’avenir a souvent la même couleur : la misère… et/ou la délinquance, l’alcool, les bagarres qui tournent mal, les loyers impayés et les expulsions, d’un taudis à l’autre.
Alors Petit Wat décide de « faire un boza ». De quitter sa famille, son pays, pour tenter l’aventure de l’Europe. Elle fait rêver, avec une force que l’on ne pourra jamais soupçonner quand on y a grandi. Un rêve entretenu par les récits de ceux qui y sont allés et s’en sont fait refouler. Retour au pays… où les « déportés », comme on les appelle, deviennent les ambassadeurs d’un rêve pour les candidats au boza.
« En France, les gens ne se frappent pas ; les filles sont belles ; les Français ne prennent pas les travaux manuels, donc c’est facile pour les étrangers de travailler ; c’est très bien payé. Il prétend même que le salaire minimum par mois c’est 1000 euros. Quand j’entends ce chiffre, je me dis que c’est un grand menteur, c’est ce que gagne ma mère en deux ans, il nous jette de la poudre aux yeux ! Pourtant, l’écouter est la plus délicieuse des drogues ».
Partir, quand on a 15 ans, peut sembler facile. Mais même poussé par ce rêve, par le désir de s’en sortir, Petit Wat prend vite conscience de la réalité de l’exil : être à la merci des passeurs et des marchands d’esclaves, devoir payer pour manger, payer pour avancer, pour que la police ferme les yeux sur son périple, payer pour avoir le droit à un lit, payer avec de l’argent que l’on n’a pas et que la famille, souvent, est incapable d’envoyer. Se sentir seul, sans repères, confronté à la violence du monde.
« Sous un vieux tas d’habits, au bord de la route, un crâne. Un ossement humain. J’en vois d’abord un, puis deux, et soudain ce sont des centaines. Des corps humains, des tas de corps décomposés. Je mets mes mains sur mes yeux, c’est épouvantable. Nous sommes dans la plus grande poubelle de l’humanité, où gisent les hommes dont personne ne veut. Ces morts ont été un jour à ma place. La prière reprend, il n’y a pas un homme qui n’implore pas son dieu. Les musulmans prient en musulmans. Les chrétiens prient en chrétiens. Les athées prient en athées ».
C’est rompre, aussi, avec le pays. Se retrouver projeté dans une autre culture, mais aussi faire face aux attentes de ceux qui, restés au pays, attendent de l’argent. Inutile de leur parler, d’attendre quoi que ce soit de leur part – y compris de l’affection – si une contrepartie monétaire est absente. Un constat qui glace le sang quand on a les repères ordinaires de ce qu’est l’amour parental « à la Française ».
Petit Wat raconte les obstacles qu’il a dû franchir pour atteindre la « terre promise »… mais aussi la dure désillusion de découvrir que la France n’est pas (seulement) ce rêve qu’on lui a vendu. C’est, à bien des égards, beaucoup plus doux que les bidonvilles de Douala, d’une douceur qui crée chez certains migrants un vrai choc culturel. Mais c’est aussi, parfois, se heurter au fait que l’on ne veut pas de vous ici, qu’ici aussi des portes peuvent se fermer.
D’autres, heureusement, s’ouvrent… et c’est grâce à l’une d’elles qu’Ulrich Cabrel a eu l’opportunité de raconter son histoire. Le témoignage est dur quand on sait se rappeler que ce n’est pas une fiction mais la vie d’un gosse pas encore majeur. Il est beau, aussi, dans sa dureté, parce qu’il souligne à quel point ce que l’on considère comme acquis est une chance.
La gratuité de l’école et des soins, par exemple. Petit Wat décrit ainsi sa rentrée des classes en France comme « le deuxième plus beau jour de [sa] vie après le boza ».
« Je souris, chante et danse tout seul dans la rue. J’aimerais appeler mes parents, leur envoyer une photo de leur fils, pour leur permettre de savourer ce moment à distance. Sur la route, je me délecte de ce vent breton qui me pénètre et me transporte, de ce petit crachin qui me chatouille et me galvanise. J’arrive à huit heures vingt, pour humer l’ambiance du lycée avant le début des cours à neuf heures.
Entre la France et le Cameroun, c’est le jour et la nuit. Dans le hall, aucun surveillant n’oppresse les élèves, filles et garçons rient en groupe, insouciants. Tu plonges dans un monde doux qui te caresse, te lèche et te donne envie de l’embrasser. Je fréquente l’école en France ! Tu es sûr que c’est vraiment moi qui te parle ? C’est dur d’y croire »…
Si vous avez la curiosité de franchir une frontière, non pas en présentant votre passeport mais en vous glissant dans les pas de ceux pour qui c’est l’aventure de la dernière chance, lisez Boza !
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