Capharnaüm – Résumé
Zain est haut comme trois pommes quand il annonce d’une voix nette à la barre d’un tribunal : « Je porte plainte contre mes parents pour m’avoir mis au monde ».
Issu d’une famille pauvre et sans amour, il purge à 12 ans une peine de 5 ans de prison pour avoir tué un homme… et décide de placer ses propres parents face à leurs responsabilités. Ou plutôt, face à leur manque de responsabilité dans son éducation.
Réalisateur – Nadine Labaki.
Durée du film – minutes.
Note – ★★★★★

Capharnaüm – Critique
Il a suffi de quelques minutes pour être happé par la puissance de ce message, de ce cri de détresse lancé par un petit bonhomme qui ne connaît même pas son âge, ses parents ne l’ayant jamais déclaré.
L’histoire de Zain est tragique. Il voit le jour dans une famille nombreuse… et ses parents sont incapables de faire face à toutes ces bouches à nourrir, tant financièrement qu’affectivement. Les enfants grandissent entassés les uns sur les autres, subissant des insultes quotidiennes, les plus petits enchaînés par le pied afin qu’ils ne s’échappent pas, les plus grands travaillant du matin au soir afin de contribuer aux revenus de la famille.
Très tôt, Zain a appris à prendre part aux combines de sa mère : faire le tour des pharmacies, armé de prétextes ou de fausses ordonnances, pour obtenir du Tramadol, un antalgique auquel de nombreuses personnes sont accro. Sa mère en fait une mixture qu’elle parvient à monnayer auprès des détenus d’une prison voisine.
Zain est encore un enfant, déchiré entre deux mondes. Celui des trafics malhonnêtes, d’une colère sourde tapie en lui, le monde d’un gamin qui n’a jamais vu les bancs de l’école, qui doit travailler pour Assaad, l’homme qui permet à sa famille d’avoir un toit sur la tête. Mais aussi ce gosse touchant, serviable, plein d’affection et de prévenance vis-à-vis de sa sœur Sahar.
Il sait ce qui arrive aux petites filles de son monde quand elles grandissent : on les marie de force au premier homme venu, généralement bien plus vieux, entre l’envie de se décharger du poids qu’elles représentent et le désir naïf qu’elles connaissent une vie meilleure. Alors quand Zain découvre que Sahar a ses règles, il fait tout pour empêcher ses parents de découvrir la vérité.
La suite de l’histoire nous entraîne dans le quotidien difficile de ce petit bonhomme, à la découverte de ce passé qui l’a mené en prison à l’âge de 12 ans. De ses rencontres, dans la rue ou ailleurs : Rahil, une travailleuse éthiopienne en situation irrégulière, qui essaie de survivre avec son bébé, Yonas ; M. Capharnaüm, un vieil homme excentrique déguisé en Spiderman ; Aspro, un passeur qui lui fait miroiter l’espoir d’un autre lendemain…
Et autant vous dire que c’est un véritable déluge émotionnel.
Zain Al Rafeea, le jeune acteur qui joue Zain, possède une expressivité incroyable qui transperce l’écran… et je ne peux m’empêcher de penser que son histoire personnelle n’est pas étrangère à cette extraordinaire vérité qui se dégage de son interprétation.

En effet, il est né en Syrie en 2004 et a fui le pays avec sa famille à l’âge de huit ans pour s’installer au Liban. C’est là qu’il a été repéré dans la rue par la réalisatrice du film Nadine Labaki (elle-même libanaise). Il avait alors 12 ans et ne savait ni lire ni écrire. Comme beaucoup d’acteurs de Capharnaüm, il n’était donc pas professionnel, ni même formé au cinéma.
Depuis le film, le jeune réfugié syrien a pu émigrer en Norvège avec ses parents et a commencé à fréquenter une école… mais avant, il a connu une vie qui fait étrangement écho à celle de son personnage. Une vie de petits boulots, dont celui de livreur pour des supermarchés – qu’il a commencé à effectuer à l’âge de 10 ans.
Zain a mené cette vie très éloignée de celle que connaissent les petits Français… et l’on sent à quel point il y a dans son interprétation une authenticité et une puissance qui seraient difficiles à créer de toutes pièces.
Au-delà de sa capacité à vous toucher, Capharnaüm est un film qui interroge sur le sens même de l’existence : y a-t-il encore un sens à venir au monde quand on grandit sans amour, dans le dénuement affectif et matériel le plus total ? Peut-on se sentir exister quand on n’a pas d’existence légale et quand on craint pour sa vie, sa sécurité, ses lendemains ? Peut-on espérer s’affranchir d’un tel vécu, trouver l’énergie de croire à autre chose ?
Dans un monde où la question des migrants anime de nombreux débats sociétaux et politiques, c’est un film qui prend un sens encore plus particulier, qui va clairement au-delà du simple divertissement.
Pour autant, il ne donne pas l’impression de prendre parti, de chercher à refléter le bien, le mal, la guerre, la fuite. Il prend souvent des allures de documentaire, brut, sincère, violent dans sa sincérité abrupte.
A voir absolument !
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