Elle s’appelait Sarah – Résumé
1942. C’est l’été à Paris, où Sarah, 10 ans, habite avec ses parents et son petit frère Michel dans un appartement de la rue de Saintonge. Juifs, ils vivent dans l’angoisse et chaque soir, le père va se dissimuler dans la cave pour échapper aux rafles dont on entend parler avec insistance.
Cette nuit-là, quand la police vient asséner de violents coups à la porte, ce n’est pas le père qu’ils viennent chercher… mais la famille toute entière. Sarah, percevant le danger sans pour autant prendre sa pleine mesure, ordonne à son petit frère de se dissimuler dans un placard secret. Puis elle est entraînée vers le Vel d’Hiv, un nom devenu tristement célèbre…
Soixante ans après la rafle du Vel d’Hiv, Julia Jarmont, journaliste américaine ayant épousé un Français, se voit confier la réalisation d’un reportage sur le Vel d’Hiv… et se découvre un lien surprenant avec l’histoire de Sarah.
Auteur – Tatiana de Rosnay.
Taille du livre – 416 pages.
Note – ★★★★★
Elle s’appelait Sarah, Tatiana de Rosnay – Critique
En étant réaliste, beaucoup de gens n’iront pas se plonger dans un livre d’histoire sur le sujet ou dans un témoignage réel… parce que les livres d’histoire sont souvent d’un abord difficile, parce que les témoignages sont durs et qu’il faut être prêt psychologiquement à les accueillir comme il se doit, parce que certains préfèrent laisser dormir cette période dans le passé que de s’y pencher au présent.
Dans ce cas précis, la fiction crée une distance émotionnelle qui, à mon sens, facilite la « prise de contact » avec un sujet douloureux… et en même temps, ô combien difficile est le défi de restituer dans un récit inventé les faits et les émotions associés à la Shoah.
Tatiana de Rosnay commence d’ailleurs son livre par un avertissement : « Elle s’appelait Sarah » n’a en aucun cas la prétention d’être un travail d’historien… même si le roman fait intervenir des faits réels.
Alors on commence à tourner les pages… et l’on découvre deux histoires entrecroisées. Sarah est une petite fille de 10 ans qui habite un appartement au cœur du Marais à Paris, avec ses parents et son petit frère Michel. C’est encore une enfant mais avec toute l’intuition que l’on a à cet âge, elle a bien perçu l’anxiété dans les conversations des adultes, glané quelques termes qu’elle ne comprend guère mais dont elle soupçonne le pouvoir tragique. Il est question de « camps », de « rafles »…
En ce jour de juillet 1942, Sarah est réveillée par des coups violents frappés à la porte au beau milieu de la nuit. La police française ordonne à sa mère de rassembler quelques affaires et de les suivre, avec ses enfants. Sarah pressent, aux larmes de sa mère, qu’il se passe quelque chose de grave et ordonne à son petit frère de quatre ans de se cacher dans leur placard secret, où elle l’enferme à double tour en se jurant de venir le délivrer. Après tout, c’est la police française qui les emmène et non les Allemands. Comment pourrait-il leur arriver quoi que ce soit ?
60 ans plus tard, le regard porté sur l’été 1942 n’est plus le même. On parle de la rafle du Vel’ d’Hiv’, de la culpabilité de la police française qui s’est mise au service des nazis pour leur livrer 13152 Juifs, dont 4115 enfants. Moins d’une centaine d’adultes sont revenus vivants de la déportation à Auschwitz. Aucun enfant. Seuls quelques-uns ont pu s’échapper alors qu’ils étaient parqués dans des camps français (à Drancy et Beaune-la-Rolande).
Dans le roman Elle s’appelait Sarah, une journaliste américaine, Julia Jarmond, se voit confier la mission de réaliser un reportage sur la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’ pour le magazine dans lequel elle travaille, une revue destinée aux expatriés américains à Paris. Julia constate vite qu’un épais tabou pèse sur cet épisode de l’histoire, que les Français eux-mêmes semblent largement ignorer.
Elle a le réflexe, en journaliste moderne qu’elle est, de commencer ses recherches sur Internet… mais rapidement, le réel prend le pas sur le virtuel quand Julia commence à rencontrer des personnes touchées de près par cette rafle. Et surtout, elle s’aperçoit que ses recherches dérangent profondément sa belle-famille, comme si elles trouvaient chez eux une résonance particulière. Julia, qui a elle-même une fille de 11 ans, Zoé, se met à éprouver une fascination intense pour l’histoire de Sarah.
On pense évidemment à la (sublime) chanson de Jean-Jacques Goldman, « Comme toi », l’histoire d’une petite fille juive qui s’appelait Sarah et qui menait la vie de n’importe quelle petite fille de son âge, à la seule différence que « d’autres gens en ont décidé autrement » et qu' »elle n’est pas née comme toi, ici et maintenant »…
À chaque chapitre, on découvre tour à tour le passé et le présent et la manière dont ils finissent par se rejoindre. Avec beaucoup de délicatesse, Tatiana de Rosnay trouve les images fortes qui vous font prendre toute la mesure de l’horreur. J’ai notamment relevé ce passage, où Sarah est emmenée dans le camp de Beaune-la-Rolande :
« Juste au-dessus des barbelés, la fillette pouvait apercevoir le village. Le clocher sombre d’une église. Un château d’eau. Des toits et des cheminées. Des arbres. Elle pensa que là-bas, dans ces maisons si proches, les gens se couchaient dans leur lit, qu’ils avaient des draps, des couvertures, de la nourriture et de l’eau. Qu’ils étaient propres, avec des vêtements qui sentaient bon.
Personne ne leur criait dessus. Personne ne les traitait comme du bétail. Là, juste là, de l’autre côté de la barrière. Dans ce petit village coquet où sonnait le clocher de l’église. Où des enfants devaient être en vacances. Des enfants qui jouaient, qui partaient en pique-nique, qui s’amusaient à des parties de cache-cache. Des enfants heureux malgré la guerre et les restrictions alimentaires, malgré, peut-être, le départ des pères à la guerre. Heureux enfants, adorés et chéris.
Elle ne comprenait pas comment il pouvait y avoir tant de différence entre ces enfants et elle. Elle ne comprenait pas pourquoi elle et ces gens devaient être traités de la sorte. Qui avait décidé cela, et dans quel but ? »
Tatiana de Rosnay nous entraîne dans les émotions d’une enfant qui ne sera plus jamais une enfant, forcée à grandir en quelques jours par des événements indélébiles.
« Pourquoi toute cette haine ? Elle n’avait jamais haï personne dans sa vie, à l’exception d’une institutrice. Cette maîtresse l’avait sévèrement punie parce qu’elle ne savait pas sa leçon. Elle essaya de se rappeler si elle avait été jusqu’à souhaiter sa mort. Oui, elle avait été jusque-là. Alors, c’était peut-être ainsi que tout était arrivé. À force de détester des gens au point de vouloir leur mort ».
Au début du livre, j’avoue être restée profondément dubitative en lisant les passages concernant Julia. Si la plume de Tatiana de Rosnay me paraissait touchante quand elle évoquait Sarah, elle m’a contraire semblé très « niaise » lorsqu’il s’agissait de la journaliste américaine. Son compagnon, Bertrand, est ainsi décrit comme un homme au pas « nonchalant et sensuel. Mince, brun, un sex-appeal débordant. L’archétype même du Français ».
On a une confrontation assez « clichée » entre la famille américaine qui semble très moderne (la sœur de Julia est une avocate débordée et brillante de Manhattan, exactement le genre de personnage qui alimente les clichés sur l’Amérique) et la famille française de Bertrand, qui renvoie une image très « vieille France »… toutes deux se balançant mutuellement à la figure les différences culturelles de leurs pays respectifs.
Sauf que j’ai poursuivi ma lecture… et que la sensibilité bouleversante avec laquelle Tatiana de Rosnay nous raconte « sa » Sarah a balayé mes réticences. J’ai même trouvé un certain intérêt à cette légèreté qui entoure parfois Julia : elle permet d’adoucir la tension émotionnelle de l’histoire, de revenir à des préoccupations plus triviales (même si, vous le découvrirez, c’est parfois loin d’être trivial !).
C’est un livre superbe, où les sentiments sont forts, poignants, violents et inoubliables. L’histoire est dramatique, même s’il y a parfois des sources de réconfort insoupçonné, des actes de bravoure du quotidien qui ont sauvé des vies… Et elle débouche sur un vrai constat : on parle si peu de ce qui s’est passé en France pendant l’Occupation… c’est pourtant là, partout autour de nous, avec la complicité des institutions françaises…
Il a fallu attendre 1995 pour que Jacques Chirac mentionne pour la première fois la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vel’ d’Hiv’. Son discours comportait d’ailleurs des erreurs historiques, témoignage d’une ironie cruelle sur la méconnaissance de la tragédie (Jacques Chirac a par exemple mentionné « près de 10 000 hommes, femmes et enfants juifs » arrêtés alors qu’il y en a eu 13152).
Alors le roman Elle s’appelait Sarah n’est pas juste une fiction mais aussi une occasion d’honorer la mémoire de toutes ces victimes. Le livre a été adapté à l’écran par Gilles Paquet-Brenner et est proposé dans la librairie du Mémorial de la Shoah, signe toujours rassurant qu’il est considéré comme une publication « respectable » au regard du vécu des victimes…
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