Et que nos âmes reviennent – Résumé
Elle avait fait sa connaissance lors d’un dîner organisé par des amis communs. Elle, psychologue ; lui, avocat d’affaires à l’international, sans cesse en déplacement dans le monde. Instantanément, elle avait ressenti une attirance magnétique pour sa prestance, son raffinement et sa bienveillance. Bien qu’il se remette à peine d’une rupture douloureuse, il avait manifesté son intention de la revoir.
Au départ, leur relation paraissait presque trop belle pour être honnête : il voulait qu’elle prenne du temps pour elle, qu’elle profite de son argent puisqu’il n’en manquait pas, qu’elle voyage… Mais rapidement, le spectre de la dissonance avait commencé à planer sur leur couple : ses paroles tendres laissaient parfois place à un comportement glacial…
Mais il avait le talent de noyer ses doutes dans de belles paroles, de lui faire admettre qu’elle avait une part de responsabilité dans leurs conflits du quotidien. C’est ainsi que l’emprise s’installe, pernicieuse, par petites touches, jusqu’à ce moment où l’on réalise qu’elle est totale et destructrice…
Auteur – Sabrina Philippe.
Taille du livre – 286 pages.
Note – ★★★☆☆
Et que nos âmes reviennent – Avis sur le livre
Ces questions sont quelques-unes de celles qu’explore Sabrina Philippe dans son nouveau roman. Son premier, Tu verras, les âmes se retrouvent toujours quelque part, s’est vendu à plus de 40000 exemplaires.
Ici, tout commence par une rencontre, chez des amis. L’homme qui lui ouvre la porte ce soir-là est avocat d’affaires, un homme brillant et raffiné par lequel elle ne peut s’empêcher d’être captivée. Voilà pourtant quelques années qu’elle est célibataire, pas mécontente de cette parenthèse qui lui permet de se ressourcer au lendemain d’un divorce… mais elle se surprend à ressentir des émois inattendus envers cet homme. Il s’avère rapidement qu’il partage l’envie de faire un bout de chemin à ses côtés.
Quelque chose, pourtant, tire en elle un signal d’alarme. Le sentiment indéfinissable d’une dissonance : il se montre tour à tour gentleman et glacial, l’associe très vite à ses projets d’avenir alors même qu’il vient juste de lui exprimer son attirance… Mais elle noie ses propres doutes :
« C’est lorsque je me retrouvai seule chez moi, m’asseyant dans mon canapé, encore surprise par ces dernières paroles prononcées, que mes lèvres s’affaissèrent. Quelque chose me paraissait étrange, sans que je parvienne à définir quoi.
– Oh et puis merde ! me dis-je tout haut en balançant mes chaussures, tu es vraiment trop compliquée !
Le pressentiment disparut donc dans ces derniers mots, et avec lui la profondeur de sa justesse ».
Petit à petit, il la convainc de prendre du temps pour elle. Elle a travaillé si dur, elle mérite de profiter un peu et puisqu’il a de l’argent, il serait dommage de se priver de l’opportunité de voyager. Il lui propose d’emménager à ses côtés… et ce qui devait marquer le début d’une nouvelle vie révèle son autre visage : celui d’un pervers narcissique, qui multiplie les reproches à son encontre et exprime ouvertement des idées antisémites.
Sabrina Philippe nous entraîne avec elle dans l’installation progressive et pernicieuse de l’emprise. Face à une personne sous emprise, nombreux sont ceux qui lui demandent : « Pourquoi tu ne pars pas ? » Comme si l’aveuglement relevait de la bêtise, d’un acharnement désespéré à sauver une relation qui n’a aucune raison de l’être.
En réalité, l’emprise naît de manière si insidieuse que la victime n’ouvre les yeux que lorsqu’elle est prisonnière d’une toile étroitement tissée… Dans Et que nos âmes reviennent, l’auteur renonce peu à peu à son autonomie financière, ce qui établit une situation de dépendance.
Des déterminants psychologiques la poussent aussi à s’accrocher à cette relation : d’abord, c’est la preuve qu’elle sait appliquer à elle-même les conseils qu’elle donne à ses patients depuis des années en tant que thérapeute de couple ; ensuite, c’est une revanche sur un passé amoureux douloureux. Abandonner serait une blessure d’ego, l’idée qu’elle n’est pas capable de mener à bien une relation…
Et puis, comme tous les pervers narcissiques, l’avocat d’affaires est doué d’un talent oratoire qui charme l’assemblée, créant un joli mirage qui protège ses secrets :
« C’est là qu’il était le plus fort, animal social hors-pair. Car dans ces moments, il montrait à tous le beau visage du prince amoureux, n’ayant de cesse que de m’embrasser ou de me regarder avec une ferveur quasi religieuse. Et moi qui répondais peu à ses marques d’affection, encore sous le coup bien souvent d’une remarque acerbe prononcée juste avant, moi qui affichais un visage de plus en plus triste. Il devint évident aux yeux de tous que s’il y avait un problème, il ne pouvait venir que de ma personnalité torturée ».
Cette dimension du livre de Sabrina Philippe est déjà passionnante mais elle se double d’une seconde approche qui prend beaucoup de place dans le récit : l’idée d’une transmission intergénérationnelle de certaines histoires.
En d’autres temps, d’autres personnes ont elles aussi connu des formes d’emprise… Est-ce pour cette raison qu’elle rêve parfois, depuis l’enfance, de bruits de bottes et de conversations en allemand, alors même qu’elle ne parlait pas cette langue ? Cela a-t-il un lien avec l’antisémitisme affiché par son compagnon ? Rejouent-ils au présent quelque chose d’un passé qu’ils n’ont pas vécu dans cette existence… mais peut-être dans une autre ?
Sabrina Philippe nous place face à un constat : certains ressentis ne trouvent pas d’explication rationnelle dans les pistes que la science ou la psychologie mettent à notre disposition. Certaines personnes arrivent à vivre avec l’inexplicable, estimant peut-être qu’il est impossible de saisir toute la complexité du psychisme humain qui conserve nécessairement une part de mystère… mais d’autres ont besoin d’une explication pour avancer dans leur parcours. Il faut alors sortir des cadres classiques, explorer d’autres voies (voyance, chamanisme…) pour comprendre.
Certains lecteurs seront probablement hostiles à cette idée. Je l’aurais peut-être été moi-même, à une époque… avant ce jour où j’ai décidé de challenger ma propre rationalité en allant consulter un voyant renommé. J’avais pris toutes mes précautions : ne pas donner mon vrai nom, vérifier qu’on ne puisse pas établir de lien entre mon numéro de téléphone et mon nom, ne pas indiquer qu’on me l’avait recommandé… Sans qu’il le sache, je l’ai « mis à l’épreuve » en pensant adopter une démarche scientifique empêchant toute supercherie.
Et il m’a bluffée. Sa description de ma famille, de mon métier, de ma personnalité était parfaitement juste. Ses prédictions sur les années qui ont suivi ont été étonnamment réalistes. Et si je suis restée rationnelle, cette expérience m’a ouvert une fenêtre sur l’idée qu’il existait peut-être d’autres formes de connaissance dont on sait peu de choses.
Sabrina Philippe ne prétend pas vous convertir à ses propres explorations, vous convaincre du bien-fondé des « voies parallèles » quand on se trouve face à une situation difficile… mais sa plume délicate vous enjoint à adopter cette ouverture d’esprit.
De ce livre, je déplore finalement une seule chose : l’avant-dernier chapitre, baptisé « Nouvelle conscience ». Il évoque en quelques paragraphes l’idée d’une déshumanisation croissante de la société, entre l’industrialisation de la mort qui a lieu dans les abattoirs et l’essor des robots qui miment le vivant… et la nécessité de faire émerger une spiritualité, de sortir des raisonnements binaires qui nuisent trop souvent à l’être humain.
J’ai été surprise par la transition un peu abrupte entre un récit qui évoque assez largement la Shoah et la possible transmission « intergénérationnelle » de son vécu… et ces exemples sur les abattoirs et les robots. J’ai été déçue que le sujet soit expédié si rapidement alors que c’est la leçon que l’auteur a tirée de son expérience douloureuse. Peut-être est-ce aussi une simple clé, livrée au lecteur pour qu’il s’approprie cette réflexion et la fasse grandir en lui.
Et que nos âmes reviennent ne laisse pas indifférent. Emprise, transmission, réincarnation, vécu traumatique, autant de thèmes qui s’entremêlent en un roman qui laisse bien des débats tournoyer en vous.
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