Dans les années 50-60, un jeune homme grandit à Los Angeles, dans un quartier qui jouxte Santa Monica. Son père fabrique du mobilier, sa mère le vend. Rien dans cette enfance ne laisse deviner que le petit Herb Ritts va connaître une grande carrière. Dans la maison voisine de la sienne habite Steve McQueen en personne mais Herb Ritts est trop jeune pour réaliser à quel point l’acteur est une icône. Pour lui, McQueen est juste ce type sympa qui l’emmène faire des balades à moto dans le désert le dimanche.
Le lycée terminé, il étudie l’histoire de l’art et l’économie, un peu en dilettante, consacrant son temps libre à sa passion : la photographie. Sans avoir jamais suivi de cours, il essaie différents réglages, cherche des lieux intéressants dans son quartier, propose ses services à des amis qui ont besoin de photos pour aller passer des castings. Hollywood n’est pas si loin, après tout. Herb Ritts avance à l’instinct. N’ayant pas suivi d’école de photo, il ne se préoccupe pas de la technique mais seulement du rendu, cherchant à obtenir LA photo qui lui procurera de vraies émotions. Il travaille à l’époque dans le magasin de ses parents… mais l’avenir le destine à une autre aventure qui commence grâce à Richard Gere.
Un pneu crevé, un début de carrière
Dans les années 70, Herb Ritts est ami avec une jeune actrice, Penny, qui sort à l’époque avec Richard Gere, un (presque) parfait inconnu qui vient de tourner son tout premier film. Peu de temps après avoir tissé des liens, ils se retrouvent tous les trois pour une virée dans le désert. La sortie tourne court à cause d’un pneu crevé et ils sont bloqués dans une station essence en plein désert en attendant que le pneu soit changé. Sacré destin…
Herb Ritts, l’appareil photo à la main comme toujours, décide pour tuer le temps de photographier Richard Gere dans la station essence.
Quelques mois plus tard, alors que la carrière de l’acteur a littéralement décollé, son agent lui demande s’il a de bonnes photos en stock pour toutes les publications de presse écrite qui s’intéressent à lui. Richard Gere pense aussitôt aux photos prises par Herb Ritts dans la station essence et très rapidement, les clichés se retrouvent dans des magazines prestigieux comme Vogue ou Esquire.
C’est Mademoiselle, une publication du groupe Condé Nast (Vanity Fair, Glamour, GQ) qui repère le talent du jeune homme et le contacte en lui proposant de photographier l’actrice Brooke Shields. Herb Ritts, qui travaille encore pour ses parents, n’ose pas leur avouer qu’il n’est pas photographe professionnel et accepte la mission.
C’est ainsi qu’il décroche ses premiers contrats, sans avoir suivi aucune voie classique, sans même se considérer comme un photographe à l’époque, sans même avoir de portfolio.
Le photographe de tout le monde
Au cours de sa carrière, Herb Ritts a travaillé avec les plus grands, de Naomi Campbell à Madonna en passant par Michael Jackson, Prince, Jack Nicholson, Elton John, Cindy Crawford ou encore Britney Spears et le Dalaï-Lama. Son style très particulier met en avant le corps dans ce qu’il peut avoir de plus sensuel, flirtant parfois – souvent – avec l’érotisme, jouant avec les limites du féminin et du masculin, aimant mettre en scène l’ambiguïté.
Il apprécie les grands espaces, la lumière, les corps qui semblent sculptés dans le marbre, les photographies intemporelles et d’une certaine manière, il se moque de la notoriété de ceux qu’il photographie, tout comme il se moque des cadres. Il estime qu’une belle photo doit intriguer. Qu’on se moque de savoir si la personne qui y figure est connue ou non, tant qu’elle suscite en nous une émotion.
Ritts photographie aussi bien des gens qui ont marqué l’histoire de la musique, du cinéma ou de la mode que de parfaits inconnus, comme dans sa série Fred with Tires où il immortalise un étudiant transportant de lourds pneus dans un garage. Il n’hésite pas à démarcher un danseur repéré dans un spectacle du Cirque du Soleil, Vladimir, qui lui permettra aussi de réaliser une série de clichés saisissante.
Esprit libre, il écoute avant tout ses intuitions, comme ce jour où il est sollicité pour photographier Naomi Campbell pour Vogue Italie. La séance photo a lieu sur une plage, durant toute une journée comme peuvent le faire ces shootings prestigieux. Et puis, alors que la nuit tombe et qu’ils sont en train de quitter la plage, Herb Ritts est soudain saisi par la beauté du moment, il ressort l’appareil photo et prend quelques clichés : ceux que retiendra finalement le magazine.
Herb Ritts est un autodidacte et c’est peut-être cette liberté qui lui a permis, tout au long de sa carrière, de s’affranchir des règles imposées pour affirmer son propre style. Il n’a pas hésité, par exemple, à publier un livre de photos sur un couple homosexuel à une époque où tout le monde lui disait que ça allait briser sa carrière. Il estimait au contraire que les gens avaient peur de ce qu’ils ne connaissaient pas et qu’en parler, c’était créer une familiarité avec le sujet. Il n’a pas non plus hésité à faire l’une des premières photos de Christopher Reeve après l’accident de cheval qui l’a laissé tétraplégique, à photographier une Liz Taylor à peine sortie de l’hôpital pour une lourde opération d’une tumeur au cerveau.
Herb Ritts sculpte les corps autant qu’il en accepte leurs faiblesses et leurs aspérités. Il avouait d’ailleurs qu’il préférait souvent photographier les vieux aux jeunes « ils ont vécu leur vie, ça se voit sur leur visage et ça ressort [sur les photos] ».
Lorsqu’il rencontre Madonna, elle lui dit simplement « J’ai vu tout ton travail dans le magazine Lei. Tu es bon ». Le début d’une collaboration qui entraîne Herb Ritts vers un autre médium : la vidéo. Madonna ne cesse de lui demander de tourner un clip et il répond qu’il ne maîtrise pas du tout la vidéo. Mais l’idée fait son chemin et un jour, il décide d’acheter une petite caméra Super 8. Il s’entraîne à filmer, juste un peu, et deux semaines plus tard il réalise son premier clip, Cherish. Il en dirigera bien d’autres, comme la superbe vidéo de Wicked Games pour Chris Isaak, In The Closet pour Michael Jackson, My All pour Mariah Carey ou encore Underneath your clothes pour Shakira.
Une étoile filante
Le 13 décembre 2002, Herb Ritts réalise une séance photo avec Ben Affleck auprès du lac El Mirage, un grand lac asséché dans le désert de Mojave. Ce jour là, le vent souffle extrêmement fort et la poussière s’infiltre partout, toutes les personnes présentes sur le tournage en respirent abondamment. Peu après, il tombe malade et est hospitalisé pour une pneumonie. Son état s’aggrave brutalement sans que les médecins ne parviennent à enrayer la chute. Herb Ritts était séropositif et son système immunitaire affaibli n’a pas pu lutter contre l’infection. Il est décédé le 26 décembre 2002 à l’âge de 50 ans.
Herb Ritts n’est pas juste un photographe de mode, juste un photographe de nus, juste un réalisateur. C’est avant tout un homme qui a su saisir l’extraordinaire dans des instants ordinaires, faire ressortir le charisme et la personnalité de ses sujets. C’est aussi, mais c’est moins important, mon photographe préféré.
Découvrir ses photos
Il existe de nombreux livres sur Herb Ritts : parmi les meilleurs, ce livre publié à l’occasion d’une rétrospective Herb Ritts à la fondation Cartier à Paris.
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