L’invention de nos vies – Résumé
Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New York, la fortune et la célébrité médiatique, un ‘beau mariage’… Mais sa réussite repose sur une imposture.
Pour se fabriquer une autre identité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombre lentement dans une banlieue française sous tension. Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitié aux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ?
À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, et c’est la déflagration…
‘Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir’ dit un proverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’un triangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle.
Auteur – Karine Tuil.
Taille du livre – 504 pages.
Note – ★★★★☆
L’invention de nos vies – Critique
Samir Tahar, musulman issu d’une famille peu favorisée, fait la connaissance de Samuel Baron, orphelin polonais adopté par une famille juive, sur les bancs de la faculté de droit. Chacun est mu par une ambition bien personnelle : pour Samir, la réussite par les études ; pour Samuel, qui vient d’apprendre la vérité sur ses origines, l’écriture d’un grand roman social qui lui permettrait d’exprimer toutes les émotions qui le traversent. Nina, la séduisante petite amie de Samuel, complète le trio inséparable.
Vingt ans plus tard, Sam Tahar est devenu l’un des avocats les plus réputés de la place de New York. Fortuné, puissant, il a épousé la fille de l’un des Juifs les plus influents d’Amérique, Rahm Berg. On se l’arrache pour ses talents d’orateur et la séduction innée qu’il exerce partout où il passe. Mais cette renommée repose en partie sur une supercherie : il est désormais « Sam » Tahar et non « Samir » Tahar, deux lettres dont l’escamotage se révèle lourd de conséquences.
La furie ressentie par Samuel lorsqu’il découvre qu’on lui a volé sa vie nous prend aux tripes. On imagine parfaitement ce sentiment de trahison ultime en découvrant que notre identité, notre histoire familiale, ce qui fait l’essence de ce que nous sommes, a été dérobé sans scrupules par un homme qui s’en est égoïstement servi pour bâtir sa propre gloire. Et pour Samuel, dont la vie est loin d’avoir pris la tournure favorisée de celle de Samir, le désaveu rime, on l’imagine, avec son lot de questions : quelle part de son succès Samir doit-il à l’identité d’un autre ?
Construire sa vie sur un mensonge. L’idée a de quoi fasciner car elle ouvre un champ de possibles infini : qui n’a pas un jour rêvé de se réinventer entièrement ? Qui n’a pas imaginé ce que serait sa vie si l’on changeait tel ou tel élément (la famille dans laquelle on est né, les choix scolaires ou professionnels effectués, les rencontres) ? Mais si permissive soit cette perspective, elle est aussi diaboliquement dangereuse : toucher à son identité, c’est faire fi du passé en supposant que celui-ci ne reviendra jamais nous hanter, c’est tromper ses proches et sans doute se tromper un peu soi-même.
Au-delà du thème du mensonge, Karine Tuil aborde également dans L’invention de nos vies celui des origines, de l’égalité des chances, du poids des secrets familiaux. Le succès et le pouvoir de l’argent sont disséqués. Sam Tahar agace souvent par son excès de confiance mais son assurance inébranlable fait aussi prendre conscience du poids de l’audace dans la réussite. Le contraste affiché avec le personnage de Samuel, peu sûr de lui, est saisissant.
Si la chute de Sam Tahar est inévitable, elle survient suffisamment tard pour que l’on en mesure pleinement la portée… et de manière extrêmement imprévue ! Seul reproche que je peux faire à L’invention de nos vies : la présence de quelques passages un peu longuets, en particulier lorsque Samuel se livre à des ruminations pessimistes sur sa vie. Pas assez, cependant, pour affecter significativement le plaisir que j’ai eu à parcourir ce livre.
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