Je tue les enfants français dans les jardins – Résumé
Lisa est professeur d’italien. Du moins, c’est sans doute le métier qu’elle renseignerait dans les cases des administrations. La réalité est tout autre.
Lisa s’efforce de survivre face à des collégiens qu’il faut dompter plus qu’éduquer. Face à la violence verbale et physique, au mépris, aux menaces constantes, à la détresse sociale de certains élèves, aux parents qui ne parviennent plus à canaliser des adolescents à l’état sauvage…
Comment tenir ? Au nom de quoi ? Au fil de l’année scolaire, Lisa se sent gagnée par des questionnements en plus en plus nombreux.
Auteur – Marie Neuser.
Taille du livre – 163 pages.
Note – ★★★★☆
Je tue les enfants français dans les jardins – Avis sur le livre
L’héroïne s’appelle Lisa. Elle a obtenu son brio une agrégation et enseigne désormais l’italien dans un collège particulièrement difficile. Pour preuve ce conseil qu’elle a reçu de son inspecteur au début de sa mission : « n’essayez même pas de faire cours, Mademoiselle. Sauvez votre peau ».
Dans ce collège, la plupart des élèves pourraient être regroupés sous la célèbre bannière des « élèves à problèmes ». Beaucoup sont violents, verbalement ou physiquement (quand ce n’est pas les deux à la fois !). L’une se prostitue pour gagner de quoi s’offrir les dernières nouveautés à la mode. D’autres sont issus de familles totalement démissionnaires ou dépassées et frappent leurs parents…
Sans parler de la masse gluante et infinie des élèves médiocres, qui n’entretiennent aucune aspiration particulière, aucun intérêt pour quoi que ce soit.
Ce contexte difficile provoque chez Lisa un questionnement qui, je crois, peut traverser l’esprit de tout jeune professeur en début de carrière : celui du sens de son engagement. Pourquoi se donner tant de mal, éprouver tant de passion et un fort désir de transmettre, pour se retrouver finalement face à des adolescents qui ne témoignent aucun intérêt ni même aucun respect à leurs enseignants ?
La situation de Lisa crée une véritable rupture entre la vision un peu poétique et idéaliste qu’elle avait de son métier, le noble souhait de former de jeunes esprits… et la réalité du quotidien, qui la confronte à une violence innommable l’obligeant à être toujours sur ses gardes. Il en résulte un mal-être profond… qui vous happe dès le tout début du livre :
« Au bout de l’avenue tristement ouvrière, hostile comme un rond-point, le brouhaha quotidien des élèves qui se pressent à l’entrée du collège. Le bâtiment date du siècle dernier, avec ses fenêtres joliment ornées d’un cadre de brique. Au-dessus de la porte monumentale l’inscription est restée, gravée sur le fronton : ÉCOLE DE JEUNES FILLES. Au-dessous, les gamins hurlent, Pédé enculé nique tes morts sur La Mecque, c’est la bande-son immuable de mes journées, j’ai besoin d’inspirer une dernière goulée d’air encore respirable avant de me résigner à fendre la foule d’un pas décidé, d’adulte inébranlable.
Pardon, pardon. Je me faufile, j’effleure une épaule de la main la plus légère qui soit pour qu’on s’écarte devant moi sans que cela semble un affront, je tente même un sourire. Je reçois en pleine figure le regard moqueur de Malik, il est le chat et moi la souris, même si j’ai 28 ans et lui 15, il savoure à l’avance l’heure qu’il va passer dans ma classe à essayer par tous les moyens de me déboulonner. Sur sa gueule triomphante se lit la satisfaction chafouine de celui qui rumine un sale coup. Je passe à côté de lui et j’entends qu’il crache par terre à quelques centimètres de mes talons. La courette devant l’entrée est jonchée de crachats morveux. La semaine dernière c’est la porte de ma salle qui en dégoulinait.
Chaque jour, du lundi au vendredi, le trajet le long de l’avenue grise après la bouche de métro, le bref coup d’œil désabusé à l’inscription ÉCOLE DE JEUNES FILLES, la traversée de la foule pleine de pédés, d’enculés et de morts que l’on nique ».
Marie Neuser vous capture avec ce langage cru, direct, celui de l’évidence et d’une réalité qu’il n’est pas possible d’embellir par de jolies phrases.
Au fil des pages, elle souligne tous les paradoxes de ses élèves ayant parfois déjà basculé dans la délinquance. Des élèves « en situation précaire » mais qui viennent chaussés de baskets qui valent un SMIC, avec des téléphones portables de grande valeur. Des élèves qui commettent des actes insensés pour leur âge mais face à qui l’on se dit « C’est quand même dingue, elle est bonne en maths »… comme si le talent pour les mathématiques était l’ultime garde-fou contre des attitudes inexplicables et inexcusables.
Heureusement, il y a Samira. Un îlot de réconfort, une oasis de fraîcheur au milieu de l’enfer. Bonne élève, elle connaît la valeur de l’apprentissage et la liberté qu’il peut offrir. Bien que son éducation la destine à une vie de femme au foyer, elle est déterminée à mettre toutes les chances de son côté pour réussir, pour échapper à ce destin qu’on a choisi pour elle…
En dévorant le roman Je tue les enfants français dans les jardins, j’avais envie à chaque page de surligner des passages tant l’écriture vous saisit.
Le livre réveille de nombreux ressentis qui seront sans doute propres à chaque lecteur : est-il normal qu’une enseignante, dans de telles conditions, finisse par haïr ses élèves ? Les scènes dramatiques qui se déroulent dans sa classe pourraient-elles être moins dramatiques si elle se montrait plus autoritaire et plus « mesquine » ? Que devrait-elle faire pour suivre la recommandation de son inspecteur et son « sauvez votre peau » ?
Pour ma part, j’ai d’abord été emportée par l’histoire de Lisa qui soulève à mon sens de vraies questions sur le rôle actuel des enseignants, qui sont parfois contraints de se substituer aux parents ou de « faire la police » alors que ce n’est pas leur rôle premier, si l’on excepte une « discipline légère ». On éprouve de la compassion pour elle, si déçue de ne pouvoir assouvir pleinement son désir de transmission.
Au fil des pages, je me suis un peu détachée d’elle : la violence que l’on sent monter en elle, le mal-être qui ne trouve aucune soupape d’évacuation (pourquoi ne se tourne-t-elle pas vers l’inspecteur qui semblait savoir dans quoi elle mettait les pieds ?), ces sentiments puissants qu’elle vit seule sans en confier la pleine portée à son compagnon, tout ceci forme un véritable chaos émotionnel dont il est difficile d’embrasser la pleine portée !
Je serais curieuse de savoir comment ce livre a été reçu par les jeunes professeurs… et je trouve qu’il serait captivant de l’étudier justement dans un cadre scolaire pour voir comment les élèves eux-mêmes réagissent : à qui donnent-ils raison ou tort, avec quels arguments ?
Marie Neuser est elle-même professeur d’italien agrégée… et a enseigné durant deux ans dans un « établissement difficile ». Nul doute que sa propre expérience a nourri (en partie seulement, j’espère !) cette fiction, lui donnant des accents très authentiques.
Beaucoup de livres ont traité de ces professeurs placés dans des établissements difficiles. Celui de Marie Neuser se détache à mes yeux par son écriture poignante qui ne laisse pas indifférent !
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