La goûteuse d’Hitler – Résumé
Nous sommes en 1943 et Rosa Sauer a 26 ans quand les SS viennent la chercher au domicile de ses beaux-parents pour une mission spéciale. Elle devra partager les repas d’Hitler. Non en s’asseyant à sa table… mais en goûtant les plats qu’il dégustera lui-même quelques heures plus tard.
Le Chancelier du Reich allemand craint l’empoisonnement… et pour dompter le démon de la peur, un bataillon de femmes a été désigné pour tester sa nourriture avant qu’il ne la consomme.
Ces mets bienfaisants sont un véritable baume sur un corps affaibli par les privations de la guerre… mais portent aussi en eux la menace du poison. Étrange paradoxe pour Rosa qui veut vivre ! Vivre, parce qu’elle est jeune. Vivre, parce qu’elle veut revoir son mari Gregor parti à la guerre. Vivre, parce qu’elle aimerait un jour avoir un enfant.
Au-delà de la réalité pernicieuse qui devient son quotidien, Rosa doit faire face à ses compagnes de tablée… dans un monde où chacun s’épie, se jauge et se juge, où les intentions et les apparences ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être.
Auteur – Rosella Postorino.
Taille du livre – 400 pages.
Note – ★★★★☆
La goûteuse d’Hitler – Avis sur le livre
Le parcours de Rosa, c’est d’abord un déchirement ou plutôt, des déchirements. Avoir 26 ans en 1943, c’est avoir vécu de plein fouet l’entrée en guerre de l’Allemagne, avoir déjà perdu ses illusions quant à l’idée d’une guerre courte, avoir vu la mort et les bombardements de près.
Le mari de Rosa, Gregor, est parti à la guerre, sa jeunesse emportée avec celle de sa femme dans le tourbillon de l’Histoire. Pas le temps d’avoir un enfant, un souhait que Rosa garde au creux de son ventre pour les lendemains meilleurs.
Elle a quitté Berlin pour aller vivre chez ses beaux-parents, à la campagne, dans un monde où on lui rappelle régulièrement qu’elle n’est pas d’ici. Elle, « La Berlinoise », avec ses robes trop habillées que les autres moquent et jalousent à la fois.
Pourquoi elle ? Pourquoi se retrouve-t-elle un jour dans un car faisant route vers Krausendorf, à deux pas de la Wolfsschanze, la « Tanière du Loup », refuge protégé d’Adolf Hitler ? Rosa ne sait pas sur quels critères on l’a choisie… mais elle se voit imposer la mission de devenir une goûteuse d’Hitler. De consommer avant lui les repas qui garniront sa table. De mourir pour qu’il vive, peut-être, si toutefois quelqu’un tentait de l’empoisonner.
« L’un avait dit : ‘Rosa Sauer’. J’avais acquiescé. ‘Le Führer a Besoin de vous’. Il ne m’avait jamais vue de près ni de loin, le Führer. Et il avait besoin de moi ».
Un déchirement de plus dans la vie de Rosa. La nourriture comme un baume bienfaisant dans un estomac qui crie famine… et la nourriture, sournoise, étrangère, susceptible de contenir un poison mortel. Source de vie, menace de mort… la promesse d’une tension insoluble.
La guerre n’épargne pas le petit peuple et la jeune femme connaît elle aussi les privations. Elle sait que refuser ce rôle de goûteuse, c’est signer son arrêt de mort. L’accepter la confrontera peut-être au même destin… mais en attendant, elle pourra vivre, espérer, se projeter un peu plus vers un avenir meilleur.
Son quotidien tisse un étrange lien avec ce chancelier allemand pour qui elle risque chaque jour de donner sa vie. Elle ne l’a jamais vu mais sait qu’il vit tout près. Il ne la connaît pas mais fait pourtant peser sur elle la menace du sacrifice ultime. Ils ne se croisent pas mais partagent à leur insu une intimité glaçante.
Sous la plume de Rosella Postorino, cette réalité apparaît, nue et bouleversante.
« Le soir, dans les toilettes des Sauer, le parfum d’asperge de mon urine me fit penser à Elfriede. Elle aussi, assise dans son WC, respirait cette odeur. Et Hitler aussi, dans son bunker à la Wolfsschanze. Ce soir-là, l’urine d’Hitler et la mienne sentaient pareil ».
Rosa n’est pas la seule femme à s’attabler ainsi devant la nourriture du Führer. Leni, Ulla, Beate, Heike, Augustine, Elfriede, Theodora, elles sont plusieurs à partager un destin commun.
Néanmoins, elles ne sont pas identiques, leur personnalité n’a pas été effacée par la guerre ou par la peur. Chacune a ses rêves et un rapport au nazisme parfois bien différent. Rosa prend très vite la mesure de ces divergences : « Je n’avais rien en commun avec ces femmes, à part cet emploi dans lequel je ne me serais jamais imaginée. Tu feras quoi quand tu seras grande ? Goûteuse d’Hitler ».
Au fil des pages, on se laisse emporter par un récit qui va bien au-delà de cette tablée de femmes. Qui explore leur psychisme, leurs limites, les îlots de réconfort que l’on cherche à découvrir dans un monde qui s’écroule, les questionnements sur sa propre probité sans cesse mise à l’épreuve comme ici, quand Rosa se questionne face à une nazie subjuguée par la figure d’Hitler…
« – Chaque fois que je l’ai rencontré, j’ai eu l’impression de parler avec un prophète. Il a des yeux magnétiques, presque violets, et quand il parle c’est comme s’il déplaçait l’air. Je n’ai jamais connu personne d’aussi charismatique.
Qu’avais-je en commun avec cette femme ? Pourquoi étais-je dans sa chambre ? Pourquoi, depuis un certain temps, me retrouvais-je dans des endroits où je ne voulais pas être et l’acceptais-je sans me rebeller, pourquoi continuais-je à survivre chaque fois que quelqu’un m’était enlevé ? La capacité d’adaptation est la principale ressource des êtres humains, mais plus je m’adaptais et moins je me sentais humaine ».
Rosella Postorino signe avec ce livre une fiction… mais elle prend appui sur l’histoire vraie d’une femme, Margot Wölk. Née à Berlin en 1917, Margot Wölk grandit dans une famille désireuse de conserver sa neutralité face au régime nazi, son père ayant même été condamné pour avoir refusé de rejoindre le parti.
En 1941, Margot Wölk quitte Berlin pour la maison de ses beaux-parents à Gross-Partsch, à moins de 3 kilomètres du bunker d’Hitler. Peu après son arrivée, elle est choisie par le maire du village aux côtés de 14 autres jeunes femmes pour devenir goûteuse d’Hitler, une précaution face aux rumeurs affirmant que les Alliés comptaient se débarrasser du chef nazi en l’empoisonnant.
Margot Wölk survivra à la guerre… et taira durant des décennies le rôle qu’elle y a joué. Au crépuscule de sa vie, âgée de 95 ans, elle décide enfin de parler… un témoignage qui rappelle celui de Brunhilde Pomsel, secrétaire du ministre de la propagande nazie Joseph Goebbels, qui a elle aussi attendu la toute fin de sa vie pour révéler la portée exacte de ses missions…
C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué… car Margot Wölk est décédée sans laisser le temps à Rosella Postorino d’organiser la rencontre qu’elle souhaitait. L’auteur a pourtant su trouver les mots, avec sensibilité et justesse, pour transporter le lecteur d’aujourd’hui dans la vie de son double de papier, Rosa. Un roman à ne pas rater !
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