Les Amnésiques, Géraldine Schwarz : ces acteurs passifs de la guerre


Les Amnésiques – Résumé

Le livre de Géraldine Schwarz se penche sur ces peuples qui, durant la Seconde Guerre Mondiale, sont restés dans un confortable « entre deux ». Ils n’étaient pas Résistants. Ils n’étaient pas non plus des nazis actifs et engagés.

Ils n’ont pas – directement – de sang sur les mains mais ils ont pourtant joué un rôle dans la guerre. En ne s’opposant pas à l’inhumain. En achetant des entreprises, des biens, des lieux ayant appartenu à des Juifs expropriés, profitant d’une situation légale à l’époque mais faisant abstraction du contexte douteux de ces transactions.

On les a appelés les Mitläufer, étrange paradoxe de ces « acteurs passifs » de l’histoire… dont les grands-parents de l’auteur ont fait partie.


Auteur.
Taille du livre349 pages.
Note – ★★★☆☆

Les Amnésiques, Géraldine Schwarz

Les Amnésiques – Avis sur le livre de Géraldine Schwarz

Géraldine Schwarz, franco-allemande, a un jour découvert que son grand-père Karl avait racheté à bas prix en 1938 une entreprise ayant appartenu à un Juif, Julius Löbmann, par la suite déporté à Auschwitz. Après la guerre, les héritiers de Löbmann ont exigé réparation de ce préjudice, poussant Karl Schwarz à se questionner sur la légitimité de cette réclamation… et sa petite-fille Géraldine à s’interroger sur tous ces gens qui, pendant la guerre, ont « marché avec le courant ».

La littérature s’est souvent intéressée aux victimes, aux bourreaux, mais moins à tous ceux qui ont été des « acteurs passifs » de la Seconde Guerre Mondiale (constat qui s’applique d’ailleurs à d’autres conflits). Si le terme peut sembler paradoxal, il traduit pour moi l’attitude de ces gens qui n’ont rien fait de spécial mais qui, par leur inaction, ont pourtant joué un rôle.

« Ils étaient simplement des Mitläufer, des personnes « qui marchent avec le courant ». Simplement au sens où leur attitude avait été celle de la majorité du peuple allemand, une accumulation de petits aveuglements et de petites lâchetés qui, mis bout à bout, avaient créé les conditions nécessaires au déroulement de l’un des pires crimes d’État organisé que l’humanité ait connu ».

Karl Schwarz, par exemple, n’a pas fait partie de la Résistance. Il n’a pas non plus été un nazi actif impliqué dans des massacres. Pourtant, il a à sa manière tiré profit d’un système qui, à l’époque, était inique : les Juifs étaient poussés à se séparer de leurs entreprises et ne pouvaient pas les vendre à leur juste valeur car on ne tenait pas compte, alors, de la réputation que celles-ci avaient acquise.

Ainsi, en achetant une société à un Juif, on faisait une bonne affaire certes légale pour l’époque… mais dont le caractère avantageux était intimement lié au contexte de la transaction.

Justement, bien des Allemands ont bénéficié de ce contexte. En s’appropriant des meubles vendus à bas prix issus d’appartements abandonnés par des Juifs déportés, en rachetant leurs entreprises, en s’installant dans les locaux qu’ils occupaient, en fermant les yeux sur les « disparitions » des voisins, de quelques enfants de l’école, etc.

Ils n’ont rien dit, ils ne se sont pas insurgés ou rebellés. Et parce qu’ils ne l’ont pas fait, ils portent à leur manière une part de responsabilité dans le rôle que l’Allemagne a joué dans la guerre et dans la Shoah.

Le livre de Géraldine Schwarz explore justement cette responsabilité : comment elle a été niée, pendant des années, par tous ceux qui souhaitaient « passer à autre chose » et refermer la parenthèse de la guerre. Comment elle a été enfouie par ces Allemands eux-mêmes, honteux de réaliser, avec le recul et la conscience des crimes nazis, qu’ils n’ont pas été si neutres qu’ils le croyaient.

C’est la complexité d’une situation où le régime nazi est monté en puissance progressivement, désensibilisant petit à petit la population à ses crimes, de telle sorte que beaucoup ont commencé par adhérer aux idées d’Hitler avant de réaliser que « ça allait trop loin ». Et quand on réalise que le régime a causé des millions de morts, comment admettre qu’on l’a un jour soutenu ?

« La persécution et la déportation des juifs étaient l’aspect du IIIe Reich qui posait le plus de problèmes à la conscience du peuple allemand, car s’il était aisé de trouver des excuses pour avoir succombé aux promesses de Hitler et salué ses réformes sociales et économiques qui apportaient dans l’immédiat un réconfort bienvenu après des années de disette, il était beaucoup plus difficile de justifier la complicité passive de dizaines de millions de citoyens face à l’enlèvement en plein jour sous leur nez de plus de 130000 juifs d’Allemagne.

Ainsi, alors que depuis les années soixante le travail de mémoire en Allemagne avait beaucoup progressé, le génocide des juifs était toujours un tabou à la fin des années soixante-dix ».

L’auteur montre que parfois, même après la guerre, les gens ont gardé un regard ambivalent sur le régime nazi, comme en témoigne cet échange entre Géraldine Schwarz et une Autrichienne :

– En 1938, vous étiez contentes que Hitler vous annexe ?
– Oui, nous l’avons tous salué comme un sauveur, et si c’était à refaire je le referais, confessa-t-elle sans hésitation.
– Pourquoi ? demandai-je.
Emma réfléchit un instant et répondit.
– Avant, nous ne mangions que des pommes de terre et après l’annexion, nous avions de la viande dans notre soupe.
Je fus frappée par cette réponse, tant son honnêteté déroutante révélait à quel point le motif d’une adhésion à un régime peut être simple. « De la viande dans notre soupe ».

Géraldine Schwarz décrypte les mécanismes du déni qui s’est peu à peu installé dans la génération d’Allemands ayant vécu la guerre… puis nous entraîne dans les décennies qui ont suivi, celles d’un pays qui a dû se battre contre ses propres démons pour préserver la mémoire. Tant de juges, d’hommes politiques, de professeurs, de hauts fonctionnaires avaient un « petit quelque chose de nazi » dans leur passé… quand ce n’était pas beaucoup plus.

Tant de gens ont été protégés, ont pu reprendre le cours de leur vie comme si de rien n’était, au motif que l’on voulait passer à autre chose, que pendant la guerre leurs actes « étaient légaux » ou « qu’après tout, tous les Allemands avaient souffert à leur manière pendant la guerre ».

Il a fallu beaucoup de temps pour qu’on l’on accepte l’indicible, pour que la parole se libère et pour que la conscience du « devoir de mémoire » s’éveille. Un combat qui, comme le montre la résurgence de courants extrémistes, n’est jamais complètement acquis.

Dans Les Amnésiques, Géraldine Schwarz explore aussi le cas d’autres pays d’Europe confrontés, chacun à leur niveau, à des défis similaires (Italie, France, Autriche, Roumanie…).

C’est un livre très instructif, richement documenté (vous y puiserez d’ailleurs beaucoup d’idées de lectures et films pour compléter votre regard sur le sujet). La dimension biographique de l’ouvrage n’est qu’une « toile de fond » à un véritable travail de recherche.

Si le fond est intéressant, j’ai parfois trouvé la forme un peu « lourde » : des phrases très longues, quelques digressions superflues, des passages où l’enchaînement de dates, de faits et de noms fait quelque peu perdre le fil de ce qui est vraiment important. Il n’en demeure pas moins que ce regard d’une auteure biculturelle sur l’histoire de « ses pays » reste profondément intéressant !


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