Les Chaussons Rouges – Résumé
Victoria Page, danseuse classique de talent, se voit accorder une opportunité unique : intégrer le ballet Lermontov. Elle découvre vite que son imprésario, Boris Lermontov, exige de son équipe une dévotion sans faille.
Pas question pour les danseurs d’entretenir une quelconque romance susceptible de les éloigner d’une concentration exclusive sur leur art. Hélas pour Victoria, elle s’éprend de Julian Craster, compositeur du ballet « Les Chaussons Rouges » dans lequel elle doit tenir le rôle titre.
Victoria Page se retrouve alors déchirée entre ses ambitions professionnelles et la voie que lui dicte son coeur…
Réalisateur – Michael Powell et Emeric Pressburger.
Durée du film – minutes.
Note – ★★★★☆
Les Chaussons Rouges – Critique
Le conte des Souliers Rouges
Le conte d’Andersen raconte l’histoire d’une petite fille très pauvre, qui perd sa maman à un jeune âge. Émue par cette enfant qui marche pieds nus, n’ayant pas d’argent pour s’acheter des chaussures, une femme lui confectionne de grossiers souliers rouges qu’elle porte à l’enterrement. La petite fille grandit, devient adolescente et est adoptée par une dame âgée, d’un statut social bien plus élevé.
Elle débarrasse Karen de ses souliers rouges mais lui en offre une nouvelle paire, splendide cette fois-ci. Hélas, il s’agit en réalité d’une erreur : la vieille dame n’y voit plus très clair et ne sait donc pas qu’elle a offert à Karen des souliers d’une couleur si peu discrète. Après être allée à l’église avec ses beaux souliers, Karen est dénoncée et la confiance que lui accorde la vieille dame s’en trouve affectée.
Un jour, la bienfaitrice tombe malade… et Karen ne peut résister à l’envie de ressortir les souliers rouges pour aller au bal. Mais elle s’en retrouve prisonnière, les souliers la forçant à danser sans cesse et l’entraînant dans une direction qu’elle ne souhaite pas prendre…
Beaucoup d’analyses établissent un lien entre la couleur rouge et l’entrée dans l’adolescence. Le vécu de Karen serait la représentation de ce vécu : l’entrée dans l’adolescence, qui implique de renoncer à certaines choses de l’enfance (comme Karen renonce à ses premiers souliers), débouche sur une période plus trouble où l’on s’oppose à l’autorité (comme Karen qui tient à porter ses souliers rouges à l’église).
On apprend parfois certaines leçons par l’erreur (Karen, forcée à danser sans fin et à souffrir pour avoir désobéi une fois)… et c’est au prix de ces épreuves que l’on trouve ensuite une forme d’apaisement.
Les Chaussons Rouges, un film un peu différent
Le film ne se contente pas de reprendre le conte d’Andersen, il livre aussi sa propre vision de l’histoire. Les Chaussons Rouges peut sans nul doute être interprété de mille façons différentes.
A mes yeux, il prend appui sur l’idée que la vie est faite de choix… et que tout choix a des conséquences, parfois déchirantes quand il s’agit de trancher entre deux éléments essentiels à l’épanouissement d’un être humain : ce qui vous anime intimement et donne un sens à votre vie… et la passion qui réveille vos émotions les plus agréables.
Pour Victoria Page (Moira Shearer), ce qui l’anime est simple : la danse. Comme une respiration, l’art est essentiel à son existence. Prendre une autre direction lui est tout simplement inconcevable. Mais Victoria découvre aussi la passion, un amour impossible à ignorer…
Tout commence à Londres. Julian Craster (Marius Goring), compositeur inconnu, assiste avec ses amis à un ballet créé par la compagnie Lermontov, Coeur de feu… dont la musique a été créée par Palmer, le professeur de Julian au conservatoire. Mais à mesure que l’orchestre égrène les notes, Craster réalise que l’homme a tout simplement plagié son travail…
Après la représentation, Palmer est convié aux côtés de Boris Lermontov – qui gère le ballet – au domicile de Lady Neston (Irene Browne). Celle-ci a une idée en tête : elle veut que Lermontov (Anton Walbrook) fasse passer une audition à sa nièce, Victoria Page. Ce dernier refuse catégoriquement et va demander qu’on lui serve un cocktail lorsqu’il croise une jeune femme, à qui il fait part de son bonheur d’avoir échappé au pire !
« La soirée aurait pu être pire. Elle a même failli tourner très mal. Nous avons été menacés d’une petite exhibition de danse, semble-t-il… mais je vois que nous avons tout de même échappé à cette horreur ».
L’horreur est à ses côtés… puisque la personne à qui il adresse ces mots n’est autre que Victoria Page !
Lermontov, gêné par sa bévue et séduit par les propos que lui tient la jeune femme, décide de la convoquer à une audition dès le lendemain. Ce même lendemain où Julian Craster décide d’aller révéler au directeur du ballet qu’on a plagié son travail.
Lermontov les engage tous les deux : Craster, comme répétiteur ; Victoria, comme danseuse. Rapidement, il pressent leur potentiel et confie à Craster la responsabilité de composer une oeuvre inspirée des Souliers rouges d’Andersen, qui permettra de révéler au monde entier tout le talent de Victoria.
Boris Lermontov, l’homme exclusif
Lermontov est un personnage à la fois charismatique et rigide, qui exige l’engagement absolu de son équipe, quel qu’en soit le coût. Lorsque le maître de ballet salue la forme olympique de la danseuse Irina Boronskaja (Ludmilla Tchérina), il répond d’un ton froid :
« La forme de cette personne ne m’intéresse plus le moins du monde. Je n’admets pas qu’une première danseuse soit assez imbécile pour songer à se marier. Pour moi, elle est rayée. Certaines situations ne sont pas conciliables. La danseuse qui met son espoir dans l’amour chimérique d’un homme ne sera jamais une grande artiste. Jamais ».
Lermontov, c’est cette idée que vivre de son art, c’est vivre pour son art, s’y donnant corps et âme, étouffant les sentiments que l’on pourrait éprouver par ailleurs.
Alors lorsque Victoria s’éprend de Julian Craster, elle se retrouve face à un dilemme : son art, sa raison de vivre… ou son amour.
Comme dans le conte d’Andersen, on retrouve une vision ambiguë de la danse : c’est d’abord une promesse d’épanouissement, une arme de séduction. Vicki Page vit par la danse, tout comme Karen ressort ses souliers rouges du placard pour aller vivre le plaisir d’un bal.
Mais rapidement, les chaussons rouges exposent leur propriétaire au pire : la danse devient tragique ; Karen ne peut plus s’arrêter de danser, prisonnière de ce qui devait être un plaisir ; Victoria ne peut concilier danse et amour, prisonnière de ce qui doit être exclusif…
Face à ce dilemme, Lermontov est le juge et la tentation : il promet la célébrité et la splendeur de la danse… mais au prix d’une terrible sentence qui lui octroie le droit de tout vous retirer si vous aimez quelqu’un ou quelque chose d’autre.
Les Archers aux commandes
Le film est réalisé par Michael Powell et Emeric Pressburger, deux hommes qui ont marqué le cinéma de leur temps et dont la rencontre est une histoire tout à fait intéressante !
Dans les années 1920, Michael Powell, d’origine anglaise, travaille dans une banque quand son père, propriétaire d’un hôtel sur la Côte d’Azur, lui fait rencontrer un réalisateur qui tourne dans la région : Rex Ingram. Ingram devient en quelque sorte le mentor du jeune homme, le faisant tourner dans plusieurs de ses films et le laissant prendre la place d’assistant réalisateur, une occasion rêvée pour Powell d’absorber une foule de connaissances sur l’univers du cinéma.
Cette expérience lui ouvre d’autres portes et il collabore notamment avec Hitchcock. En 1939, il est sollicité par le producteur Alexander Korda, juif hongrois en exil, pour réaliser le film L’Espion en noir… et fait la connaissance d’Emeric Pressburger. Lui aussi juif hongrois, il a fui la montée du nazisme.
Une complicité artistique naît immédiatement entre les deux hommes, qui prennent le surnom des « Archers » et signent ensemble une quinzaine de collaborations, dont Les Chaussons Rouges font partie.
La réalisation est brillante, avec des scènes de ballet remarquables qui séduiront tous les amoureux de danse classique.
Moira Shearer, l’interprète de Vicki Page, a été élève de Nicolas Legat… le professeur du célèbre danseur Nijinski. D’ailleurs, Nijinski est tombé amoureux d’une danseuse lors d’une tournée en Amérique… et la nouvelle a été très mal reçue par son impresario Diaghilev, qui l’a alors licencié. Ou quand la réalité et la fiction se rejoignent !
Quant à Ludmila Tcherina, interprète d’Irina, la première danseuse du ballet Lermontov, elle a été nommée danseuse étoile des Ballets de Monte-Carlo à seulement 15 ans et a tenu des rôles d’étoile dans des ballets de Roland Petit.
Autant dire que les interprètes sont avant tout de « vraies danseuses », et non des actrices ayant appris quelques pas pour les besoins du rôle. Ça donne une intensité supplémentaire au film.
Les Chaussons Rouges offrent un univers très riche en questionnements. Le film ne m’a pas autant emportée que d’autres, c’est pour cette raison que je ne lui mets pas la note maximale… mais il mérite d’être vu et ce n’est pas pour rien qu’il figure dans la liste de films incontournables cités par Martin Scorsese !
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