Paris, 23 novembre 2017, 19h. Au Sofitel Paris Le Faubourg, un élégant hôtel niché dans la discrète rue Boissy d’Anglas à deux pas de la place de la Concorde à Paris, un événement se trame. On se glisse dans le lobby chaleureux et intimiste où bruissent déjà quelques conversations. Il s’agit ce soir d’assister à la remise du Prix du Meilleur Livre Étranger 2017.
La récompense, créée en 1948, est soutenue par Sofitel depuis 2011, ce qui permet de lui offrir une belle exposition et de mettre en valeur les auteurs dans un cadre de prestige. Une ambition que le Directeur Général de l’hôtel a partagée avec nous :
« Ce soir, Sofitel confirme à nouveau sa volonté de faire connaître et de mettre à l’honneur les cultures du monde, tout en reliant les cultures locales à celle de la France ».
Décerner le « Prix du Meilleur Livre », un défi impossible ?
Les prix littéraires ont ceci de fascinant qu’ils divisent et déclenchent des débats passionnés. Il y a ces prix que l’on valide, ces livres que notre regard de lecteur a pressentis comme exceptionnels… mais il y a aussi ces prix que l’on ne comprend pas, ces livres à côté desquels on a le sentiment d’être passés sans vraiment les rencontrer.
C’est, au fond, une leçon d’humilité pour tous ceux qui publient des avis sur les livres, qu’ils soient critiques professionnels ou amateurs, blogueurs ou journalistes, BookTubeurs ou Instagrammeurs…
Un livre peut toucher profondément une personne et laisser un autre lecteur de marbre. De même, on peut se plonger dans un même livre à deux périodes de sa vie et porter dessus un regard très différent. Sans oublier qu’une plume agile et fine peut ne susciter chez vous aucune émotion… tout comme une plume malhabile peut vous toucher en plein cœur. Voilà qui rend l’exercice de la critique bien périlleux !
Mais je trouve la récompense belle. Elle couronne le travail. Elle couronne les heures de solitude face à sa feuille ou à son clavier, mais aussi face à soi-même, quand il faut extirper de son âme un récit dans lequel on met tant de soi. Elle couronne des visions du monde qui ont su toucher un jury et qui auront le mérite de faire parler. C’est ainsi que vit la littérature, après tout !
Et cette année, le « Prix du Meilleur Livre Etranger 2017 » récompense deux lauréats :
- Philippe Sands, dans la catégorie « Essai », pour son livre Retour à Lemberg dont je vous ai parlé cette semaine : un mélange entre histoire familiale et « grande histoire » qui nous conduit de Lviv à Cracovie en passant par Nuremberg, nourrissant une réflexion captivante sur la naissance du droit international.
- Viet Thanh Nguyen, dans la catégorie « Roman », pour son livre Le Sympathisant que j’évoquerai dans quelques jours : un agent double écartelé entre Etats-Unis et Vietnam, dont la double-identité est une richesse autant qu’une souffrance.
Prix du Meilleur Livre Etranger 2017 catégorie Roman : Viet Thanh Nguyen pour « Le Sympathisant »
Viet Thanh Nguyen est cet homme qui semble perpétuellement en alerte, attentif, mémorisant chaque détail, se préparant à toute éventualité. Lorsque je l’ai abordé pour échanger quelques mots avec lui après la remise du prix, il m’a immédiatement demandé avec curiosité si c’était pour mon blog que « j’avais pris des photos de son discours ». Attentif, vous disais-je !
Né en 1971, il a connu un parcours fascinant et douloureux à la fois : âgé de quatre ans au moment de la fin de la guerre du Vietnam, il fuit le pays avec sa famille, se réfugiant aux Etats-Unis où il découvre la complexité de sa double-identité, tant américaine que vietnamienne. Une déchirure qu’il panse au fil des années, transformant cette dualité en une force qui lui permet de porter deux regards complémentaires sur le monde.
Pas étonnant, au fond, qu’il ait choisi de faire d’un agent double le héros du roman « Le Sympathisant ».
Dans son discours, il a évoqué la difficulté à « accoucher » d’un livre puis à le faire publier. L’incertitude, aussi, quant au destin de ses écrits. Entre l’auteur seul face à son récit et celui qui, des années plus tard, reçoit le Prix du Meilleur Livre Etranger 2017 dans le lobby feutré d’un Sofitel parisien, il y a tant de mystères… Impossible de prédire la manière dont un livre va être reçu.
Il a notamment expliqué :
« Je ne mesurais pas vraiment à quel point l’écriture exigerait beaucoup de moi, à quel point elle me démantèlerait – à ma plus grande tristesse mais, au fond, au bénéfice de mon amélioration en tant qu’écrivain ».
Il a parlé de ce processus difficile, dont on ne prend pas conscience « quand [on] est face à [son] ordinateur, face à un mur blanc » mais qui fait de vous un écrivain. Selon lui, cela passe tant par la technique que par l’âme et l’esprit… sans oublier la « volonté de rester assis sur cette chaise pendant des milliers d’heures »… le tout en recevant une reconnaissance quasi-inexistante (cette solitude de l’auteur !).
Mais avec l’intime conviction que ce processus, si douloureux soit-il, vous transforme aussi profondément.
Des mots qui invitent chaque personne ayant envie d’écrire à le faire. Viet Thanh Nguyen, dont le livre a également reçu le Prix Pulitzer l’année dernière, a su valoriser avec beaucoup d’honnêteté cette phase de création intime et intense. Les obstacles font partie de l’initiation…
Je retiens aussi cette phrase, à méditer :
« Ce que nous négligeons aujourd’hui est peut-être ce à quoi le futur accordera de l’importance ».
Un livre, comme une rencontre, doit tomber au moment propice.
Prix du Meilleur Livre Etranger 2017 catégorie Essai : Philippe Sands pour « Retour à Lemberg »
J’étais vraiment ravie de pouvoir échanger, même brièvement, avec Philippe Sands. J’ai entendu parler de son livre Retour à Lemberg par le plus grand des hasards, alors que je revenais de Cracovie en Pologne.
Je venais de visiter le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau et celui de Plaszow, je venais de me plonger dans l’histoire de cette ville qui a subi les invasions de ses voisins allemands et russes et dont le château royal a été occupé par les nazis, le gouverneur Hans Frank en faisant sa résidence personnelle. Quelques mois plus tôt, mes pieds avaient foulé, un peu par hasard, un tout autre décor : la ville de Nuremberg et son palais de justice où ont été condamnés quelques-uns des dirigeants du Troisième Reich.
Alors forcément, quand j’ai lu un article sur ce livre qui établissait un trait d’union entre Nuremberg, Cracovie et la ville de Lviv, nourrissant une réflexion passionnante sur la naissance du droit international, je me suis plongée dedans…
Lors de la soirée au Sofitel Paris Le Faubourg, Philippe Sands a expliqué à quel point cela avait une signification toute particulière pour lui de recevoir ce Prix du Meilleur Livre Etranger 2017 à Paris : « un lieu très touchant pour moi au niveau personnel », a-t-il confié.
Cette ville a en effet été la terre d’accueil de son grand-père lorsqu’il a fui Lviv/Lwów/Lemberg au début de la Seconde Guerre Mondiale.
Il a expliqué que ce livre était né « par accident » et lui avait ouvert « beaucoup de portes inattendues ». J’aime cette idée que l’écriture est un chemin perpétuel. Au-delà des pages que l’on noircit, il y a toutes ces aventures qui surgissent sans prévenir et en font un véritable voyage.
Selon Philippe Sands, Retour à Lemberg met en avant « la mémoire, le silence et l’identité ». Il a souligné que son livre comportait beaucoup de détails (ce qui m’avait frappée et dont je vous avais parlé dans ma critique !)… mais il a fait cette très belle phrase, d’autant plus intéressante quand on sait que son auteur est avocat :
« C’est souvent par les plus petits détails qu’on apprend les plus grandes vérités de la vie.
Après la remise du prix, j’ai pu échanger quelques mots avec chacun des auteurs. Philippe Sands et moi avons notamment partagé nos impressions sur la salle d’audience de Nuremberg, qui paraît si petite « en vrai » par rapport aux images du grand procès que l’on a vues dans nos livres d’histoire.
Il a évoqué la prison de Nuremberg, où il a pu entrer (elle est fermée au grand public), une expérience marquante… et m’a vivement conseillé d’aller à Lviv, une recommandation que je garde dans un coin de ma tête car la ville a effectivement l’air superbe et chargée d’histoire.
Bien sûr, les rencontres éphémères des auteurs lors d’une remise de prix ou d’un salon littéraire sont toujours trop brèves et un peu maladroites car nous sommes des inconnus les uns aux autres, liés par un récit qui a changé de mains… mais c’est une belle occasion de remercier un auteur pour ce qu’il a provoqué en nous. Et avec ou sans Prix, ça n’a pas de prix !
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