Terminus Auschwitz, Eddy De Wind : un témoignage rare écrit dans le camp lui-même


Terminus Auschwitz – Résumé

Eddy de Wind a 27 ans quand il est déporté avec sa femme Friedel dans le camp d’Auschwitz, ayant pour seul crime à son actif le fait d’être juif. Médecin de formation, il intègre le block 9 du camp de concentration, tandis que sa femme est affectée au block 10, celui-là même où le terrible médecin Josef Mengele mène ses « expériences » sur les détenus.

A l’approche de la libération du camp, alors que les nazis commencent à tenter d’effacer les traces de la tragédie qui s’est jouée à Auschwitz, Eddy décide de consigner dans un cahier ce qu’il a vécu dans le camp. Un témoignage rare, l’un des rares récits écrits sur place, à l’heure où le souvenir était encore vif…


Auteur.
Taille du livre303 pages.
Note – ★★★★☆

Terminus Auschwitz, Eddy De Wind

Terminus Auschwitz – Avis sur le livre

Il a fallu attendre 2020 pour qu’un éditeur français, Michel Lafon, nous offre ce témoignage très particulier, initialement publié en néerlandais. En effet, quand Eddy de Wind a tenté de diffuser son récit après sa libération d’Auschwitz, il s’est bien souvent heurté à des refus ou à une indifférence polie, son pays n’ayant guère envie d’initier un travail de mémoire alors qu’il était en pleine reconstruction.

Il a fallu du temps, du recul, pour comprendre que cette mémoire d’un génocide devait être transmise et diffusée. Du temps, pour que Terminus Auschwitz se fraie un chemin jusqu’à un lectorat plus large.

Si ce témoignage est particulier, c’est parce qu’il a été écrit dans le camp lui-même, sur un cahier déniché par Eddy de Wind. Le souvenir était donc encore intact, les émotions faisaient encore partie de son vécu quotidien et sans le recul historique qui permet de comprendre ou d’analyser certaines choses.

A titre d’exemple, Eddy de Wind ne cite jamais le nom de Josef Mengele, qu’il présente comme un médecin menant des expériences terrifiantes de stérilisation et autres mutilations… tout simplement parce qu’au moment où il écrit, il n’a pas conscience de la place que prendra plus tard la figure de Mengele dans la recontextualisation historique d’Auschwitz.

Il adopte, dans l’histoire, le pseudonyme de Hans van Dam, écrivant à la troisième personne comme s’il s’agissait d’un récit fictif. Il s’agissait d’abord de protéger son identité réelle dans le cas où le cahier venait à être découvert… mais l’on se demande aussi dans quelle mesure ce n’est pas un moyen de « prendre de la distance » sur un plan plus émotionnel, pour être capable de raconter l’indicible.

Le destin d’Eddy de Wind est commun à celui de beaucoup de Juifs hollandais de l’époque : déporté à Auschwitz avec sa femme, il échappe aux premières « sélections » et, jugé apte au travail, intègre le camp d’Auschwitz lui-même (distinct du camp d’extermination de Birkenau, situé non loin de là). Le couple est affecté dans deux blocks voisins et il est probable que cette proximité, cette présence humaine dans un décor inhumain, ait contribué à leur donner la force de tenir.

Evidemment, la vie du camp est telle que l’histoire nous l’a faite connaître : d’une violence inouïe, d’une injustice inouïe…

« Avec un seul de ces facteurs, séparément, il aurait été possible de vivre dans un de ces commandos. Le travail était pénible, mais supportable. Les coups étaient douloureux, mais on ne vous battait pas à mort. Le pain et la soupe étaient chichement distribués, mais ils auraient suffi à mener une vie oisive. C’est la combinaison de ces facteurs, la dureté du travail, plus les coups avec si peu à manger, qui s’avère insupportable. Le pire étant le manque de repos.

Travail, appel, contrôles, quête de nourriture et quand tu te retrouves enfin couché dans ton châlit, avec huit autres hommes venus de toute l’Europe, commence le vain combat contre les poux et les puces. Somnoler, te réveiller, te gratter. Puis te maîtriser, te coucher calmement. Laisser les poux ramper à leur guise, te rendormir, te réveiller. Te disputer avec ton voisin. Et quand tu t’es bien gratté la jambe, ça saigne, ça va s’ulcérer. De grâce, ne te gratte plus. Et c’est reparti pour un tour ! Recru de fatigue, privé de repos, et profondément malheureux ».

Au point qu’Eddy de Wind évoque les « infortunés vivants et bienheureux cadavres », une expression qui traduit le non-sens ultime qu’est le mot « vie » à Auschwitz…

Terminus Auschwitz, Eddy De Wind

On ressent souvent une forme d’anesthésie émotionnelle, nécessaire pour survivre : ainsi, les cheminées des crématoriums qui crachent jour et nuit leurs cendres font « partie du décor ». On parle de « passer par la cheminée » comme si cela était une étape ordinaire de la vie, une mise à distance de l’horreur qui est sans doute indispensable pour pouvoir poser un pied devant l’autre.

Néanmoins, de petites phrases, discrètes, révèlent parfois une conscience accrue que cet îlot de souffrance est loin, très loin du monde ordinaire. Eddy de Wind mentionne par exemple qu’il aperçoit des montagnes, au loin. A cheval, il faudrait sans doute une heure pour les rejoindre en trottant à bonne allure. Pour les détenus, « ces montagnes ne sont pas de ce monde […] car entre elles et nous, il y a le fil ».

Derrière les barbelés, ce qui frappe avant tout dans Terminus Auschwitz, c’est l’absurdité des décisions et du quotidien, une absurdité qui mène à se dire que la survie ne relève pas seulement de la résilience et de la capacité à se montrer « astucieux » pour trouver à manger, nouer les « bonnes » relations, se placer au « bon » endroit dans les kommandos de travail. Elle relève purement du miracle, tant n’importe quelle situation peut basculer n’importe quand dans n’importe quelle direction.

Ce sont les affiches qui demandent aux prisonniers d’avoir une propreté irréprochable, quand on les laisse se faire ronger par les poux dans leurs hardes puantes. Ce sont les exécutions arbitraires et les sauvetages inexpliqués. Ce sont les larcins insignifiants que l’on paie de sa vie et les crimes terribles qui restent impunis.

Il n’y a aucune logique, aucune justice.

Et au milieu de tout ça, il y a de la force, des gens dignes, des gens qu’on admire sans les connaître pour leur dignité. Une scène, en particulier, m’a profondément émue. Celle d’un homme de 57 ans, grand économiste hollandais, qui n’a pas pu être sauvé et s’apprête à partir pour un voyage sans retour…

« Le Pr Frijda partait, l’ancien « recteur magnifique » de l’université d’Amsterdam, celui qui s’était vu décerner par la reine Wilhelmine un doctorat honoris causa. Il serra la main de Hans et lui demanda de saluer, au cas où il survivrait, tous ses proches parents de sa part.
« Mais professeur, vous-même les reverrez un jour. »

Que dire d’autre ? Il n’avait pas le courage de dire la vérité. Aussi préférait-il s’en tenir au mensonge à propos de Birkenau.

C’est alors qu’arriva un SS qui poussa le professeur vers les véhicules. Et c’est en chemise crasseuse et vulgaires claquettes en bois qu’un des plus éminents savants hollandais grimpa dans le camion qui le conduirait à la chambre à gaz ».

Herman Frijda savait, probablement, où il partait. Mais il est parti la tête haute et cette dignité, ce courage et cette résilience dont beaucoup de prisonniers font preuve, est quelque chose que les nazis n’ont pas pu voler.

Dans une ère où l’antisémitisme n’a pas disparu, il est essentiel de lire et relayer ce type de témoignage, pour montrer jusqu’où mène l’intolérance…


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