Hermann Goering – Résumé de la biographie
Sacré personnage qu’Hermann Goering !
D’un côté, il y a cet homme joufflu, à l’air jovial, héros de la Première Guerre Mondiale récompensé par la croix Pour le Mérite (distinction allemande la plus prestigieuse à l’époque), aux excentricités presque comiques.
De l’autre, un homme lâche, vaniteux, aimant être au centre des discussions et des attentions, profitant et abusant dans les grandes largeurs de son pouvoir pour mener un train de vie indécent sous le Troisième Reich, n’assumant aucune de ses (nombreuses) responsabilités, renonçant à tout libre-arbitre en présence d’Hitler.
Tout ceci réuni au sein d’un même personnage, infiniment complexe, semblant toujours osciller entre comédie et tragédie. Dans cette biographie hors du commun, François Kersaudy plonge dans le parcours de celui que l’on présente souvent comme « le numéro 2 du régime nazi ».
Auteur – François Kersaudy.
Taille du livre – 984 pages.
Note – ★★★★★
Biographie d’Hermann Goering – Critique
C’est l’étrange paradoxe du personnage et j’ai décidé de me plonger dans un livre de référence, la biographie d’Hermann Goering écrite par l’historien François Kersaudy (une référence et un gage de qualité sur la Seconde Guerre Mondiale) pour approfondir ma vision de l’homme… Plus de 900 pages incroyables, un récit documenté plein de témoignages et de citations…
Pour ceux qui ne resituent pas Goering, c’est un homme qui a joué de multiples rôles au sein du régime nazi, et notamment celui de ministre de l’Aviation. Il a été l’un des principaux dirigeants du parti et l’un des premiers compagnons de route d’Adolf Hitler.
L’introduction du livre de François Kersaudy parvient, en seulement deux pages, à vous donner un aperçu de l’extraordinaire paradoxe qui vous attend. Petit extrait :
« Au début des années 20, le capitaine Goering est un authentique héros de guerre, abondamment décoré, patriote, romantique, chevaleresque, entreprenant, doté d’une grande intelligence et d’un charisme indéniable (…). Le début d’un conte de fées ? Non : le commencement d’un long cauchemar, car ce glorieux vétéran, orgueilleux, ambitieux, influençable et cyclothymique, est attiré par la politique et impatient d’y jouer un rôle. Or, à l’automne de 1922, il rencontre à Munich Adolf Hitler, qui le fascinera pour la vie ».
Le Hermann Göring des débuts est un personnage presque attachant : c’est un homme très exalté, avec un côté romantique, rebelle, qui a du mal à se conformer aux règles et fait preuve d’une audace qui met parfois sa vie en danger. Malgré son indiscipline, c’est aussi quelqu’un de doué si bien qu’on lui pardonne souvent ses écarts de conduite. Pendant la Première Guerre Mondiale, il n’hésite pas à mettre sa vie en danger ce qui lui vaudra de gagner ses premières décorations.
Après la guerre, il est devenu une figure appréciée par la population (il le restera d’ailleurs longtemps, même pendant la Seconde Guerre Mondiale !) et est l’égérie de marques comme l’équipementier aéronautique Fokker. C’est le genre de personnage que les Américains qualifient de larger-than-life, une sorte de bête de scène qui sort totalement de l’ordinaire et est prêt à toutes les folies pour peu que ça amuse la galerie et que ça fasse parler de lui.
À l’époque déjà, le britannique William Blake le décrit en ces termes : « très doué, mais un peu farfelu ! (…) Sa carte de visite avait les dimensions d’une carte postale : c’était typique du personnage. Il aimait tout exagérer, faire une montagne d’une taupinière. Un terrible vantard. (…) Mais il était intelligent ». Le diplomate et espion allemand Hans Gisevius, témoin-clé lors du procès de Nuremberg, dira de lui : « Il me fait penser au Chat Botté ou à quelque personnage extravagant de conte de fées ».
Bien qu’il se soit engagé très tôt dans l’armée, Hermann Göring développe une conscience politique à un âge assez tardif. Après avoir passé quelques années en Scandinavie, il traverse comme beaucoup de gens à l’époque une période de désœuvrement dans une Allemagne en grande difficulté et se met à étudier les sciences politiques et l’économie à l’université de Munich.
Lui, l’homme bouillonnant d’énergie qui a tendance à se jeter à corps perdu dans l’action sans se poser trop de questions, croise la route d’Adolf Hitler et se laisse séduire par son désir d’action, qui tranche à ses yeux avec tous les politiciens qui parlent beaucoup mais agissent peu…
Avec son culot habituel, Hermann Goering va frapper à la porte du parti nazi… et c’est comme ça qu’il hérite de son premier poste de commandant au sein de ce qui deviendra plus tard les SA. Il va jouer un rôle extrêmement structurant dans ce parti nazi encore balbutiant, au cœur d’une époque très désorganisée sur le plan politique. Il va aussi vivre à cette période un événement déterminant sur le plan personnel : une grave blessure à la cuisse lors de la tentative de putsch menée par Adolf Hitler dans une brasserie de Munich en 1923.
C’est suite à cette blessure qu’il va commencer à prendre de la morphine, à perdre le contrôle de son poids et à afficher un déséquilibre psychique marqué, au point de devoir être hospitalisé en psychiatrie… Dès 1925, il devra d’ailleurs subir sa première cure de désintoxication.
C’est une période de fuite : Hitler est emprisonné, Goering a été emmené en Autriche pour échapper aux autorités allemandes qui essaient de lui mettre la main dessus après le putsch manqué…
La situation finit par se stabiliser et l’intelligence d’Hermann Goering retrouve de sa superbe : il met à profit son sens du commerce et son relationnel pour se refaire une situation financière et devenir député… sans compter qu’il touche de juteux dessous-de-table par certaines entreprises allemandes (dont la Lufthansa). Il continuera par la suite à recevoir des participations dans de nombreuses grandes entreprises (Benz, BMW, etc). De quoi se demander combien de sociétés ont contribué à financer le nazisme…
François Kersaudy partage d’ailleurs ce que l’on disait de lui à l’époque et qui ne manque pas d’humour : on le décrivait comme le « prodige du parti nazi » et surtout, comme « le seul homme qui ait dû son ascension à un parachute »… car Göring a construit le début de sa fortune personnelle en agissant comme commercial dans la vente de parachutes !
Ce talent indéniable ne l’empêche pas d’être complètement sous la coupe d’Hitler. Sa servilité va jusqu’au mimétisme, l’homme réutilisant très souvent des formules d’Hitler.
En lisant cette biographie de Goering, j’ai souvent eu la même impression qu’à la lecture des mémoires de l’architecte Albert Speer : l’impression épuisante d’être dans un épisode (un peu trop réel) de Game Of Thrones, tant les jeux de pouvoir étaient multiples et d’une violence inouïe au sein du régime nazi.
Aucune amitié qui tienne, des alliés qui peuvent se transformer en ennemis du jour au lendemain, des rivaux que l’on écarte en produisant de faux documents compromettants au moment opportun, des gens qui travaillent dans l’ombre pendant que d’autres s’approprient les mérites de leurs actions (comme l’infortuné Hans Jeschonnek, chef d’état-major adjoint de la Luftwaffe, qui a souvent assumé les responsabilités d’Hermann Goering à la place de celui-ci et a fini par se suicider)… François Kersaudy propose d’ailleurs la devise « Tous contre tous » qui me semble décrire à merveille les conflits internes du parti nazi.
L’auteur sait bien rappeler, à travers le récit de nombreux épisodes historiques, que l’arrivée au pouvoir des nazis ne s’est pas faite simplement à la faveur d’élections remportées… mais aussi au prix de nombreuses vies humaines, d’assassinats arbitraires sur fond de grande paranoïa conspirationniste…
Au-delà des aspects terriblement noirs du personnage, Hermann Goering a aussi des côtés moins détestables : c’est, par exemple, un grand romantique. Il restera toute sa vie follement amoureux de sa première femme, Carin, à la santé fragile, décédée prématurément à l’aube de ses 43 ans. Il lui dédiera sa propriété entière, baptisée « Carinhall », où il avait une pièce consacrée à la mémoire de sa femme disparue.
Il affichera le même romantisme avec sa seconde épouse, Emmy… et un grand attachement à sa fille Edda. Le médecin qui l’avait suivi lors de son séjour en psychiatrie avait d’ailleurs dit de lui qu’il était « sentimental envers les siens, mais totalement insensible aux autres ».
C’est quelqu’un qui, au final, donne surtout l’impression d’avoir été un énorme profiteur sans scrupules, capable de s’asseoir complètement sur son libre arbitre, d’abandonner tout esprit critique… sans forcément être, au fond, un véritable antisémite. Plutôt un égoïste qui a tiré profit du malheur des autres pour vivre dans une opulence aussi totale qu’indécente. D’ailleurs, François Kersaudy parle « d’antisémitisme à géométrie variable ».
Hermann Göring a même déclaré qu’il avait la capacité à décider qui était juif et qui ne l’était pas… et est souvent intervenu pour aider des amies juives de sa femme ou libérer des anciens combattants de la Première Guerre Mondiale promis à la déportation… tout en étant parfaitement incapable de s’opposer à l’antisémitisme d’Hitler.
Évoquant les exactions commises par Himmler contre les Polonais (les juifs en particulier), François Kersaudy explique :
« [Goering] intervient auprès d’Himmler pour l’inciter à la modération, et ses démarches restant vaines, il émet le 23 mars une circulaire interdisant à l’avenir tout déplacement de population sans son consentement.
Parce que tout cela nuit à une exploitation économique rationnelle du pays ? Parce que les traitements infligés aux Polonais paraissent bien peu « chevaleresques » ? Parce qu’il est manifestement impossible de les justifier aux yeux du monde en général et de son épouse en particulier ? Ou bien tout simplement parce que ce pragmatique assez peu fanatique n’approuve que les crimes indispensables à sa sécurité et à sa promotion ? Lui seul pourrait le dire… De toute façon, les massacres et les déportations s’effectuant avec l’autorisation d’Hitler et la complicité de la Wehrmacht, Goering s’escrime en vain et finit par renoncer ».
Il s’accommode d’ailleurs de certaines situations à l’aide de stratagèmes aussi honteux que déroutants : par exemple, lorsqu’il découvre que le père d’Erhard Milch (à qui Goering souhaite faire appel pour développer la Luftwaffe) est juif… Goering trouve une solution assez lunaire. Il fait en sorte que la mère de Milch certifie qu’en réalité, son fils est né d’un adultère avec un baron aryen. Le père réel disparaît du tableau fort avantageusement pour Hermann Goering… grâce à une petite histoire aussi triste – pour le malheureux père déchu – que bien ficelée.
C’est, au fond, un homme profondément lâche qui fuit ses responsabilités. Voici ce qu’il dira d’ailleurs à l’un de ses collaborateurs : « Je me promets toujours de dire à Hitler exactement ce que je pense, mais quand j’entre dans son bureau, mon cœur descend invariablement dans mes bottes ». D’ailleurs, même quand Hitler le traite comme un moins que rien, il s’écrase. Même quand il a des accès de lucidité (comme lorsqu’il déclare à sa femme en 1942 que l’Allemagne ne gagnera jamais la guerre), il n’en touche pas un mot à Hitler. Et quand le dictateur explose dans des colères hystériques, Goering se laisse envahir par la peur.
Hermann Göring, qui jouait aussi le rôle de Maître des forêts, a beaucoup contribué à développer des réserves naturelles et à réglementer la chasse en Allemagne, à reboiser les abords des villes, etc. Un petit détail qui rappelle qu’il ne faut jamais voir l’histoire tout en noir ou tout en blanc.
Le personnage reste totalement hors norme : son addiction à la morphine prend souvent le dessus, il peine à réguler son poids et transpire tellement qu’il doit se changer plusieurs fois par jour et se parfumer, connaît des périodes d’insomnie qui le poussent à se maquiller pour dissimuler sa mauvaise mine, il a une fâcheuse tendance à revêtir les uniformes les plus ostentatoires et des guirlandes de décorations militaires, se vernit parfois les ongles, sans oublier de porter les bijoux les plus gros qu’il puisse trouver… Il collectionne de manière compulsive les œuvres d’art pillées, voyage dans un train que l’on n’hésite pas à arrêter lorsqu’il prend son bain car il n’aime pas le clapotis de l’eau…
Lorsqu’il finit par être arrêté par les Américains (ou plutôt par contacter de son plein gré les Américains, persuadé qu’il va pouvoir négocier avec eux), il lui faut un temps infini pour prendre conscience qu’il est considéré comme un criminel de guerre. Il se retranche souvent dans la fuite, se contentant d’un « J’ai suivi les ordres » comme si une forme de « morale militaire suprême » l’empêchait de désobéir, indépendamment du caractère insensé des ordres. Au psychiatre Kelley, qui le suit lors de son emprisonnement pendant le procès de Nuremberg, il déclare :
« Je sais que je serai pendu. Vous le savez aussi. Je suis prêt. Mais je suis décidé à entrer dans l’histoire allemande comme un grand homme. Si je ne puis convaincre la Cour, je convaincrai au moins le peuple allemand que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le grand Reich allemand ».
Ainsi, il a le sentiment de manifester un grand sens de l’honneur sans jamais réaliser qu’il manque totalement d’empathie et a commis des actes qui n’ont rien d’honorable.
À sa manière, Goering a marqué les esprits lors du procès de Nuremberg. Il a même, au début de son témoignage, été capable de déstabiliser le procureur en chef Robert Jackson, notamment en soulignant des erreurs de traduction en allemand. Un test de QI réalisé à l’époque a révélé un score de 138… et honnêtement, ces capacités mentales se ressentent tout au long du livre. Tout comme, du reste, le fait que le QI et l’intelligence émotionnelle n’aient rien à voir.
Le procureur-adjoint français a dit de Göring : « Il était l’incontestable vedette de cette longue et tragique représentation. Installé à la première place de la travée la plus basse, il attirait tout naturellement les regards et les retenait, d’abord par la singularité de son apparence, ensuite par la vivacité de ses jeux de physionomie, qui faisait contraste avec sa corpulence massive. J’étais fasciné par l’incessante mobilité de ce visage ».
Goering a d’ailleurs mis à profit sa capacité de séduction pour améliorer son confort en prison… et probablement pour se procurer le cyanure avec lequel il a finalement mis fin à ses jours quelques heures avant son passage sur la potence.
Un ultime avis sur cette biographie…
Cette biographie d’Hermann Goering est incroyable à la fois par son épaisseur (plus de 900 pages, de quoi approfondir de manière captivante sa connaissance du personnage !) mais aussi par la qualité de sa documentation : les propos qui sont rapportés sont sourcés, on peut lire des transcriptions de conversations, de témoignages – à la fois pendant la guerre et pendant le procès de Nuremberg…
C’est vraiment un travail hors norme, avec un index, des cartes, des plans, des annexes très riches… J’en suis ressortie avec une vraie admiration pour le travail réalisé. La biographie mêle habilement les situations historiques et un regard très humain sur chaque temps fort de cette histoire.
Bien sûr, à l’échelle de 900 pages, il y a parfois des passages qui m’ont moins captivée. Par exemple, à titre personnel, c’est surtout la dimension psychologique du nazisme qui m’intéresse ; j’ai donc un peu décroché lorsqu’il était question de certains détails stratégiques de la guerre. Mais je ne doute pas que si vous vous intéressez à cette période de l’histoire, vous saurez apprécier ce livre à sa juste valeur documentaire car c’est un ouvrage de référence à posséder absolument dans sa bibliothèque !
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