Ici pas de survivants – Résumé
Lotte naît en Allemagne en 1937. Enfant de la guerre, elle raconte dans ce livre le quotidien si particulier des petits Allemands qui ont vécu, eux aussi, un traumatisme inouï.
Un traumatisme longtemps noyé dans la culpabilité et le silence. Car l’Allemagne a perdu cette guerre… Car on a pris conscience de l’ampleur et de la portée des crimes commis au nom du nazisme. Alors, insidieusement, on a fait comprendre à ces enfants qu’ils n’avaient pas le droit de parler, pas le droit de se plaindre, pas le droit d’évoquer leur enfance volée.
Pourtant, à leur manière, ils ont aussi grandi dans un monde déchiré par des conflits d’adultes sur lesquels ils n’ont guère eu de prise. Ils ont dû se construire avec ce qu’on leur a donné : un pays en miettes, des parents désorientés, un quotidien décousu…
Quel adulte devient-on ensuite ?
Auteur – Ingrid Brunstein.
Taille du livre – 208 pages.
Note – ★★★★★

Ici pas de survivants – Critique
Ce livre, publié en 2014 par les éditions de l’Aube, traite d’un sujet rarement abordé : le vécu des enfants allemands nés autour de la guerre 39-45. Des enfants qui ont grandi dans un pays régi par le national-socialisme… puis dans un pays vaincu, assommé par le poids de la honte et des crimes commis pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Parmi ces enfants, il y avait Lotte, la petite fille au cœur de ce livre. Lotte est née en Allemagne en 1937. Comme l’auteur, Ingrid Brunstein. De là à penser qu’il y a dans ce récit une forte composante autobiographique, il n’y a qu’un pas.
Elle a donc été une enfant de la guerre, un statut extrêmement particulier compte tenu des atrocités reprochées à l’Allemagne, qui ont pesé sur le peuple allemand dans son ensemble et alimenté un lourd silence au sein de cette génération :
« Je me suis tue parce que personne ne m’a posé de questions au-delà de ce qu’on aime entendre de la part des survivants au désastre. Je me suis tue parce qu’en Allemagne, toute ma génération a le même vécu et que nous avons appris à considérer notre enfance comme « normale ». Une norme à ne pas questionner.
Je me suis tue parce que mes parents se sont tus et que leur silence m’a interdit de dire ce que je n’avais pas été autorisée à voir. Je me suis tue parce que, très progressivement, j’ai compris que leur responsabilité dépassait ce que j’avais saisi dans leur silence ».
Le père de Lotte faisait partie de « l’armée des cent mille hommes ». Après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, le pays a été privé de son armée, à l’exception de ce contingent de soldats choisis pour leurs qualités morales et militaires.
Lotte a grandi avec l’absence de son père, dont elle ne garde que des souvenirs fugaces à chaque retour de permission : l’odeur du cheval, la rigidité toute militaire qu’il impose à ses enfants, l’angoisse de la séparation qu’elle perçoit chez sa mère, de plus en plus forte à mesure que la guerre tourne mal. C’est la peur de ne plus se revoir, les jeux d’adulte où l’on doit faire semblant. Faire semblant d’aller bien, d’avoir confiance en l’avenir alors même que l’on sait que chaque au revoir peut être définitif.

Dans Ici pas de survivants, Ingrid Brunstein raconte la guerre elle-même, la faim, sa perception enfantine du contexte… mais aussi l’après. Une Allemagne terrassée par la destruction, où la moindre décision importante est prise par les forces d’occupation, où il n’y a ni travail ni logement stable. Où les enfants de guerre se fondent dans la masse des réfugiés sans qu’on leur prête vraiment attention. Il y a tant à faire…
Lotte est témoin de choses qu’elle n’aurait pas dû voir si tôt – un accouchement par exemple. Elle raconte le processus de dénazification mené dans le pays pour « trier » des milliers de gens et essayer de déterminer la responsabilité de chacun. Une tâche de fourmi.
On découvre ainsi une multitude de petits détails qui n’en sont pas vraiment. Des éléments qui, dans la grande marche de l’histoire, ont été oubliés. Car on raconte la Seconde Guerre Mondiale dans ses grandes lignes, dans ses faits marquants… mais au quotidien, il y a eu tant de scènes et d’événements qui ont compté et ne figurent pourtant pas dans les livres d’histoire.
C’est l’hymne allemand que l’on n’ose plus chanter, ce sont ces enfants qui ont appris à calculer la distance à laquelle est tombée une bombe, en comptant comme on compte les secondes qui séparent l’éclair du coup de tonnerre. Ils comptent, parfois avant même de savoir parler…
« L’écriture allemande depuis Luther, die Sütterlinschrift, est remplacée obligatoirement, à l’école comme dans tous les actes de la bureaucratie, par l’écriture latine. Du jour au lendemain, les lettres ne sont plus acheminées si les adresses sont écrites en lettres gothiques. Certes, ceux qui ont appris l’anglais ou le français au lycée s’y étaient déjà exercés auparavant. Il n’empêche, durant un certain temps, écoliers et adultes redeviennent des illettrés ».
Certains passages du livre soulignent toute la difficulté à raconter cette enfance allemande sans avoir peur d’être jugé, de s’entendre dire « qu’il y a eu pire »…
Avec le recul historique, les décennies qui ont passé, il est plus facile aujourd’hui de concevoir que ces enfants de la guerre ont eux aussi vécu un traumatisme, à leur manière. Ils ont connu des privations, ont sans doute perçu très fortement la culpabilité, les non-dits, les émotions brûlantes des adultes, l’impossible retour à la normale après la guerre…
« Rien ne justifie la comparaison entre le mal et le pire. […] La coexistence de deux catastrophes, dont l’une a été la cause de l’autre, ne neutralise aucune des deux. Les cataclysmes liés à cette guerre sont là, côte à côte, avec toute l’horreur qui s’y attache pour chacune des populations ».
Ici pas de survivants est donc, à mes yeux, un livre profondément nécessaire.
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