L’Ordre du Jour – Résumé
Que s’est-il vraiment passé autour du 12 mars 1938, lorsque l’Allemagne nazie organise soigneusement l’annexion de l’Autriche (Anschluss) pour consolider la puissance du Troisième Reich ?
Quelle réalité se cache derrière l’enthousiasme des foules et l’armée allemande auréolée de gloire, tels que les dépeint Joseph Goebbels, funeste magicien de la propagande nazie ? Qu’a-t-on tu, qu’a-t-on caché ?
L’Ordre du Jour explore ces accords extorqués par la force, ces décisions que l’on impose « d’un commun accord avec soi-même », les soubresauts et échecs de l’histoire que l’on noie sous l’apparence rassurante d’un mariage consenti… et, à l’arrière-plan, la complicité des industriels allemands dont le portefeuille grand ouvert a allègrement financé les opérations.
Auteur – Eric Vuillard.
Taille du livre – 160 pages.
Note – ★★☆☆☆
L’Ordre du Jour – Critique
Il nous plonge à l’aube d’un événement bien particulier de l’Allemagne nazie : l’annexion de l’Autriche par les Allemands (Anschluss pour les intimes), survenue en 1938. L’idée mûrissait déjà depuis plusieurs années dans les cercles nazis autrichiens (pays natal d’Adolf Hitler, ne l’oublions pas !)… Hitler lui-même avait évoqué dans Mein Kampf en 1925 son désir d’unir les deux pays au sein du grand Reich millénaire.
Il se dit aujourd’hui chez nombre d’historiens que l’Autriche, à une époque, était largement favorable à l’idée… jusqu’au moment où les nazis ont tenté d’obtenir par la force ce qu’ils auraient sans doute pu, avec un peu plus de patience, négocier pacifiquement.
Les nazis autrichiens commencent par assassiner Engelbert Dollfuss, chancelier d’Autriche, qui avait dissous le parti nazi autrichien pour le priver de toute existence officielle. Les nazis allemands mènent une campagne acharnée en faveur de l’Anschluss… et de péripétie en péripétie, Hitler trépigne, se lasse d’attendre et opte pour la manière forte : le 11 mars 1938, il menace d’envahir l’Autriche, réclame la démission du chancelier Kurt Schuschnigg (qui a remplacé Dollfuss et prônait l’organisation d’un référendum sur l’Anschluss avant toute décision hâtive)… et la nomination à sa place d’Arthur Seyss-Inquart.
Le mariage Autriche-Allemagne est officiellement célébré le 12 mars 1938 et, dans un discours lu par son fidèle Goebbels, Hitler dira : « Ich selbst als Führer und Kanzler des deutschen Volkes werde glücklich sein, nunmehr wieder als deutscher und freier Bürger jenes Land betreten zu können, das auch meine Heimat ist ». Autrement dit : « En tant que Führer et chancelier du peuple allemand, je serai heureux de pouvoir entrer à nouveau en tant que citoyen allemand et libre dans ce pays, qui est aussi ma patrie« .
L’histoire, la voici, très résumée, très simplifiée. Qu’en a donc fait Eric Vuillard ?
A vrai dire, j’ai du mal à répondre à ma propre question. Il nous raconte l’événement, de petites anecdotes en questionnements sur la mise en scène ayant entouré l’Anschluss, de personnages clés du régime nazi aux industriels ayant ouvert en grand leur portefeuille, complices du Troisième Reich dont ils ont, souvent, allègrement exploité la main d’oeuvre bon marché que constituaient les prisonniers des camps.
Ce n’est ni un livre d’histoire, ni une narration captivante qui nous révélerait avec rythme et passion ce qui s’est tramé dans les coulisses, avec le brio dont a pu faire preuve un François Kersaudy dont je vous parlais récemment. Ce n’est pas un essai philosophique sur le nazisme non plus. Alors je reste avec le sentiment d’avoir parcouru un livre qui ne m’a rien apporté de vraiment original ou vraiment mémorable par rapport à ce que j’ai déjà lu sur le sujet.
Je lui reconnais néanmoins des qualités : l’auteur s’est documenté, c’est indéniable, il dépeint par exemple Goering en quelques anecdotes qui prouvent qu’il en connaît un minimum sur le personnage ; la langue est belle, bien maniée, et j’apprécie toujours à sa juste valeur le fait qu’un prix littéraire couronne un auteur sachant valoriser la richesse du français, que l’on a tendance à oublier (surtout sur le web, propice à une écriture simple et directe !).
L’interprétation de l’auteur révèle parfois certaines scènes sous un jour différent de ma propre perception. Par exemple, Eric Vuillard évoque les derniers mots de Seyss-Inquart avant sa pendaison à Nuremberg, « des mots si pauvres qu’on voit le jour au travers ». Voici la phrase que Seyss-Inquart a prononcée avant de mourir :
« J’espère que cette exécution marquera le dernier acte de la tragédie que fut la Seconde Guerre Mondiale, et qu’on tirera de celle-ci une leçon : que la paix et la compréhension doivent prévaloir entre les peuples. Je crois en l’Allemagne ».
A titre personnel, je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse de mots « pauvres »… si l’on a en tête le « Heil Hitler ! » qu’a braillé un Julius Streicher imperturbable alors qu’on l’emmenait jusqu’à la potence. Ou le « J’ai fait mon devoir en vertu des lois de mon pays » de Kaltenbrunner, qui estimait s’être battu « avec honneur ». Tout le monde n’a pas la même définition de l’honneur, visiblement.
Quoi qu’il arrive, aucun mot n’est capable de décrire l’ampleur du drame qui s’est joué autour de cette guerre, de ce régime. N’importe quel mot est pauvre face à cette tragédie… et que vaut la parole d’un nazi dans un monde où tous les mots sont pauvres ?
Un point m’a cependant paru intéressant dans L’Ordre du Jour : la réflexion d’Eric Vuillard sur la mise en scène entourant l’Anschluss :
« Les actualités du temps donnent le sentiment d’une implacable machine. On y voit, dans des plans savamment cadrés, avancer les blindés allemands au milieu d’une foule en liesse. Qui pourrait imaginer qu’ils viennent de subir une gigantesque panne ? L’armée allemande semble marcher sur le chemin de la victoire, une victoire toute simple, pavée de fleurs et de sourires ».
Ou encore…
« Puisque le Reich a recruté plus de cinéastes, de monteurs, de cameramen, de preneurs de son, de machinistes que tout autre protagoniste de ce drame, on peut dire que, jusqu’à l’entrée en guerre des Russes et des Américains, les images que nous avons de la guerre sont pour l’éternité mises en scène par Joseph Goebbels. C’est extraordinaire. Les actualités allemandes deviennent le modèle de la fiction ».
J’ai aimé ce questionnement sur l’écart qui se creuse entre la réalité et la manière dont elle a été racontée. Entre ces jeunes filles qui figuraient sur les images, le rose aux joues (en noir et blanc), et les vieilles dames qu’elles sont devenues ensuite, peut-être saisies par l’horreur de ce qui s’est passé, après.
Néanmoins, ces éléments n’ont pas suffi à me faire apprécier ce Prix Goncourt 2017. L’avez-vous lu ? Qu’en avez-vous pensé ?
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Je viens de terminer le ivre et je me demande toujours pourquoi il a eu le Prix Goncourt. Certes , la langue est très belle mais le récit manque de souffle romanesque. Ha, ce n’est pas un récit? Mais , qu’est-il? Ni un livre d’histoire et ni une réflexion philosophique, même si ces genres parsèment le livre. Je reste dubitatif…
J’ai croisé depuis la publication de l’article des personnes qui ont été très touchées par le livre. Souvent, elles ne connaissaient pas les « dessous historiques » de l’Anschluss et ont été marquées à la fois par le « fond » lui-même et par l’ironie, le côté froidement calculé avec lequel les choses sont racontées. Je ne partage pas ce regard… mais c’est intéressant de savoir ce qui a plu aux lecteurs qui ont aimé.
Bonsoir,
Je viens de terminer le bouquin. Je n’ai pas votre finesse d’analyse, ni vos connaissances historiques. Je lis beaucoup. Je demande qu’outre des connaissances, un livre m’emporte et me transporte comme « Au revoir là haut » Goncourt 2013. Rien à voir me direz-vous. Certes, mais je n’ai pas pu lâcher « Au revoir là haut » avant de l’avoir terminé. Dieu merci, « L’ordre du jour » ne fait que 150 pages. Ouf ! il était temps avant qu’il ne me tombe des mains.
Bonjour Annie, merci d’avoir partagé votre ressenti après lecture. Comme vous, je n’ai pas ressenti quelque chose de suffisamment fort pour me laisser emporter, révolter, émouvoir par ce livre… mais 2018 est là et je souhaite que l’année vous apporte plein de belles lectures et de bonheur !
Bonjour. Je suis en train de le lire. Ce monsieur écrit avec les pieds. Il passe au petit bonheur du présent au passé simple et nombre de ses tournures sont bancales. L’enthousiasme général repose beaucoup, à mon sens, sur le sujet traité : quelqu’un qui analyse le cauchemar nazi est forcément un homme bien… Pas con de choisir un sujet hyper-consensuel pour se mettre tout le monde dans la poche… Vous critiquez l’auteur? Vous êtes sûrement un néo-nazi :-) et hop (content d’avoir trouvé UNE critique un peu négative)
Bonjour, pour ma part, le style d’écriture ne m’a pas choquée. Je crois aussi que tout le monde sait qu’un prix, quel qu’il soit, ne mettra jamais tout le monde d’accord. De la même manière qu’un livre ne met jamais tout le monde d’accord. Il y a toujours ceux qui trouvent le style trop ampoulé, les personnages trop creux ou trop denses, l’intrigue trop peu innovante et j’en passe.
La lecture reste affaire de sensibilité et l’élitisme, ce mal très français, a largement perdu de sa superbe depuis que tout le monde a voix au chapitre quand il s’agit de « juger » un livre.
Pour en revenir à L’Ordre du Jour, je n’ai pas eu ce sentiment d’une « analyse du cauchemar nazi » et c’est sans doute pour ça que je ne partage pas les opinions enthousiastes sur le livre. Certains auteurs ont fait des recherches brillantes sur les coulisses de l’Anschluss : je citais F. Kersaudy dans l’article, il y consacre des pages et des pages dans sa biographie de Goering, reprenant notamment les échanges entre Goering et Dowbrowski qu’on retrouve dans L’Ordre du Jour, mais aussi bien d’autres (il y a aussi tous les échanges avec Seyss-Inquart lui-même, le général Muff avec qui Goering discute en direct de la démission de Schuschnigg au moment où elle survient).
Du coup, j’ai vraiment eu l’impression de lire une version de l’histoire « vulgarisée par Eric Vuillard ». C’est sans doute utile pour le grand public qui n’irait pas avaler de son plein gré les (presque) 1000 pages de la bio d’Hermann Goering… mais je me demande ce que ça apporte au sujet. Je n’ai pas vraiment eu le sentiment d’un « truc en plus », d’une perspective ou d’une découverte qui se démarquerait par son originalité.