Ravage, René Barjavel : saurez-vous survivre à la modernité ?


Ravage – Résumé

France, an 2052. François Deschamps quitte sa Provence natale pour gagner Paris, où il a passé le concours d’une prestigieuse école de chimie agricole. Il espère rejoindre Blanche Rouget, avec qui il a grandi et pour qui il éprouve une immense affection.

Ce que François ignore, c’est que Blanche a reçu une proposition impossible à refuser : incarner Régina Vox, nouvelle vedette médiatique sur laquelle le grand producteur Jérôme Seita a décidé d’investir.

Ce que François ignore aussi, c’est que Paris va vivre la plus grande coupure d’électricité de son histoire. Dans un monde où la science a fait de gigantesques progrès et où tout fonctionne à l’électricité, l’événement va vite prendre des allures d’apocalypse…


Auteur.
Taille du livre313 pages.
Note – ★★★★☆

Ravage, René Barjavel

Ravage – Avis sur le livre

Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’avais jamais lu René Barjavel avant de me plonger dans Ravage. Ce roman est, paraît-il, emblématique de l’oeuvre de Barjavel car il aborde la question de l’homme face à ses propres excès. Il crée un univers assez fascinant, qui nous paraît familier et dissemblable au nôtre à la fois.

Ravage se déroule dans le futur, en 2052. Quand Barjavel a publié ce roman dans les années 1940, il imaginait donc les progrès technologiques qui allaient survenir un siècle plus tard. Une société imaginaire en forme de dystopie, car il est impossible d’y être heureux.

Dans le monde de Ravage, les progrès de la science ont été gigantesques : on a développé une nouvelle matière, le « plastec », d’une solidité à toute épreuve, que l’on utilise absolument partout ; les véhicules ont fait d’énormes progrès, sont plus rapides et plus fiables, on se déplace beaucoup par la voie des airs ; on sait désormais conserver les morts en leur laissant l’apparence de la vie, de telle sorte que chaque foyer aisé dispose d’un « espace de stockage » où l’on peut entreposer le corps de grand-maman comme si elle prenait encore part à la vie familiale…

Sous la plume de Barjavel, on découvre un monde qui ressemble vaguement au nôtre… mais qui, par mille petits détails, est différent : par exemple, décrivant le train, l’auteur écrit :

« Si l’on avait décidé qu’il n’était pas plaisant d’aller trop vite, si l’on criait qu’on avait envie de remonter « dans le train » comme grand-père, on n’aurait tout de même pas accepté de s’asseoir dans une brouette poussive qui se traînait sur le ventre à trois cents kilomètres à l’heure ».

Lorsque Barjavel a publié Ravage, on avait inauguré en France quelques années plus tôt (fin 1938) une ligne de chemin de fer entièrement électrifiée, le Paris-Bordeaux. Les trains y circulaient à environ 100 km/h. Pour les gens de l’époque, les « 300 km/h » qu’il évoque devaient donc déjà ressembler à de la science-fiction alors que pour nous, lecteurs du 21e siècle, c’est en phase avec la vitesse du TGV.

De même, l’auteur raconte dans le roman que l’architecte « Le Cornemusier » a construit à Paris quatre « Villes Hautes » pour loger davantage d’habitants, l’une d’entre elles s’appelant la « Ville Radieuse ».

A l’époque de la parution de Ravage, l’architecte Le Corbusier avait, dans la vraie vie, exposé sa conception de l’architecture moderne et de l’habitat collectif… et son projet allait prendre vie juste après la Seconde Guerre Mondiale à travers la construction des « Cités Radieuses », des immeubles aménagés avec un mélange d’appartements et d’équipements collectifs (magasins, équipements sportifs, une terrasse commune avec école et gymnase).

Ravage, René Barjavel

Ces progrès technologiques ont évidemment un impact sur la société et induisent, dès les premières pages du roman, une réflexion intéressante sur de nombreux sujets. On constate par exemple que le héros, François Deschamps, n’apprécie pas le sentiment de passivité.

Je trouve que ça rejoint une tendance actuelle, qui pousse à être productif en tout, partout, tout le temps : l’oisiveté est mal perçue dans notre société, il faut optimiser son temps, multiplier les activités, on trouve de plus en plus de cours pour apprendre à s’organiser, à mieux gérer sa vie, à être plus productif…

Barjavel décrit François Deschamps comme un homme qui ne supporte pas l’inaction, le fait – aussi – d’être à la merci de la technologie :

« De tempérament actif, il aimait se servir de ses muscles, possédait le goût d’intervenir partout, chaque fois qu’il pouvait le faire de façon utile, et nourrissait l’ambition de diriger sa vie, au lieu de se laisser entraîner par les événements. Enfermé dans ce bolide, il s’estimait réduit à un rôle trop ridiculement passif.

Chaque fois qu’il prenait le train ou l’avion, il éprouvait la même impression d’abdiquer une partie de sa volonté et de sa force d’homme. Autour de lui se jouaient des forces si considérables qu’il se sentait bien plutôt leur proie que leur maître. Qu’une potence cédât, que la poutre craquât, qu’y pourrait-il, qu’y pourrait même l’ingénieur qui conduisait la machine ? Il n’éprouvait certes pas la moindre peur, mais un sentiment désagréable d’impuissance ».

C’est le paradoxe fascinant entre une société de plus en plus évoluée sur le plan technologique, qui permet d’adoucir le quotidien de l’homme à bien des égards en lui épargnant les tâches difficiles… mais aussi une société où l’on cherche de plus en plus sa place.

Blanche Rouget en est un bon exemple : elle a grandi dans le monde rural, en Provence, est « montée à Paris »… et entretient la crainte furieuse de vieillir sans avoir profité de la vie. Elle se retrouve déchirée entre l’amour pur et sincère de François Deschamp, qui lui promet une vie rangée de « femme d’ingénieur »… et la séduction exercée sur elle par Jérôme Seita, grand producteur de radio qui promet de faire d’elle une star, riche et adulée.

C’est en ce sens que Ravage de Barjavel est une dystopie : les personnages se retrouvent face à l’impossibilité d’atteindre le bonheur.

La description du monde imaginaire créé par Barjavel est un trésor de créativité, où l’on se laisse emporter dans un univers parallèle aussi attirant qu’affolant. Le réchauffement climatique y rend l’atmosphère étouffante, les inégalités sociales persistent mais la technologie rend le quotidien exotique et fascinant.

Mais cette première partie du livre, baptisée « Les Temps nouveaux », ne dure pas… et dans la seconde partie, « La chute des villes », un événement vient bouleverser le quotidien : dans un contexte de tensions politiques, l’électricité est brutalement coupée à Paris. Dans un monde où tout tournait à l’électricité.

Les conséquences sont dramatiques et ce sont elles qui vont occuper les deux autres parties du roman (« Le chemin de cendres » et « Le Patriarche »)… avec une réflexion de fond sur les dangers du progrès.

C’était, à l’époque de la publication du roman, une préoccupation commune à beaucoup d’intellectuels : on se demandait quels effets allaient produire sur l’homme toutes les évolutions technologiques, un monde de plus en plus « matérialiste ».

Et justement, quand une coupure d’électricité vient empêcher ce monde de machines de fonctionner « normalement », l’homme doit revenir à des fondamentaux : l’humble travail de la terre loin de la biotechnologie et des légumes de synthèse, la débrouille, la vie en petite communauté loin des villes tentaculaires…

Quand on y réfléchit, cette notion de « fin du monde moderne » reste un sujet profondément actuel, parfois évoqué dans d’autres romans. Je pense par exemple, récemment, à Sentinelle de la pluie de Tatiana de Rosnay, l’histoire d’une inondation catastrophique privant Paris de ses ressources. Je pense à l’attrait que représentent des émissions comme Koh Lanta, où l’on doit réapprendre à vivre de peu et survivre sans les atouts de la civilisation moderne.

Barjavel a très probablement été influencé par le contexte d’écriture de son livre, publié en pleine Seconde Guerre Mondiale : la guerre révélait, à bien des égards, le pouvoir destructeur de l’homme et de ses technologies alors qu’elles allaient de pair avec une société bien plus « évoluée ».

Ravage portait initialement le titre Colère de Dieu et le lecteur ne s’y trompe pas : il s’agit bien de juger l’homme sur son rapport au progrès, de lui rappeler le risque d’aller trop loin avec la science en perdant le contact avec des valeurs plus simples…

Un roman très riche, que je vous conseille de lire car il y a mille façons de l’interpréter !


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