La route vers la liberté, Mietek Pemper : la véritable histoire de la Liste de Schindler


La route vers la liberté – Résumé

En 2005, Mietek Pemper, juif né à Cracovie (Pologne) en 1920, se décide à écrire ses mémoires pour coucher sur le papier l’histoire de sa survie miraculeuse, au prix d’une angoisse de tous les instants et d’un courage nourri à l’énergie du désespoir.

Pemper a été le secrétaire particulier de l’un des plus grands bourreaux nazis que la Pologne ait connus : Amon Göth, commandant du camp de concentration de Plaszow en Pologne. Un secrétaire juif, donc, au service d’un SS, une situation assez unique sous le Troisième Reich.

La route vers la liberté raconte l’histoire de cette improbable situation qui a conduit Mietek Pemper à figurer sur la célèbre « Liste de Schindler » et même à être l’un des acteurs principaux de sa conception. C’est l’autobiographie d’un homme qui a conservé un sens moral irréprochable dans un contexte où il risquait sa vie à chaque minute. C’est aussi, à travers lui, l’histoire du peuple juif de Cracovie ayant peu à peu sombré dans son chapitre le plus sombre…


Auteur.
Taille du livre301 pages.
Note – ★★★★★

La route vers la liberté, Mietek Pemper

La route vers la liberté, Mietek Pemper – Critique du livre

Je me suis plongée dans le livre La route vers la liberté de Mietek Pemper à un moment très particulier : peu avant de prendre la route de Cracovie en Pologne, où j’avais prévu d’aller visiter plusieurs camps de concentration, dont celui de Plaszow. Plaszow est un camp souvent méconnu du grand public car il a été très largement détruit par les nazis au point qu’il n’en subsiste aujourd’hui que quelques ruines difficiles à interpréter pour le promeneur de passage.

Il se situe pourtant aux portes de Cracovie, à quelques arrêts de tramway du centre-ville… et a été largement mis en avant dans le film La Liste de Schindler de Steven Spielberg.

Plaszow a été dirigé entre février 1943 et septembre 1944 par le commandant Amon Göth, un homme dont la cruauté lui a rapidement valu le surnom de « boucher de Hitler ». Un homme dont la violence a été décrite par de nombreux témoins, à commencer par ceux qui l’ont côtoyé.

Pemper en a fait partie et le portrait qu’il dresse va dans le même sens : un géant, mesurant près de 2 mètres, à l’ambition dévorante, qui lui « faisait penser à une bouteille d’eau gazeuse soumise à de violentes secousses : il semblait sans cesse sur le point d’exploser ».

« Pour moi, Göth était un exemple du degré auquel un être peut perdre ce qui fait son humanité, à savoir la conscience et le contrôle de soi – pour ne rien dire de la compassion ».

Le jeune Göth, 34 ans, se retrouve vite quelque peu dépassé par ses responsabilités… et trouve en la personne de Pemper un jeune homme de 23 ans talentueux, travailleur et corvéable à merci pour l’aider à garder la face devant ses supérieurs hiérarchiques et à préserver les privilèges dont il profite sans scrupules.

Le livre de Mietek Pemper a été préfacé et co-traduit par François Delpla, excellent historien dont je vous ai déjà parlé sur le blog. Je retiens notamment cette phrase de sa préface :

« L’immense mérite de cette mise au point est de montrer que les nazis étaient des brutes, mais non des imbéciles, et que pour leur damner le pion il fallait à la fois une résolution très ferme, beaucoup d’intelligence et une forte dose de réussite ».

L’intelligence, c’est ce qui va transparaître de chaque ligne de ce livre. Plus que l’histoire d’un homme, il raconte l’histoire d’un peuple. Les Juifs vivaient dans une relative tranquillité à Cracovie jusqu’à la mise en place du régime nazi qui les a poussés à être confinés dans un ghetto… et a conduit à la création d’un camp de travail forcé constitué à partir de ce même ghetto avec tous les Juifs jugés « aptes au travail » (les autres ont été déportés vers des camps d’extermination ou tués immédiatement).

C’est dans ce camp que Mietek Pemper est devenu le secrétaire particulier d’Amon Göth. C’est aussi là que son nom, avec celui de ses parents et de son frère, a été inscrit sur « la liste de Schindler », lui valant de survivre à la guerre. Pemper a grandi dans une double culture, polonaise et allemande, grâce à une grand-mère d’origine étrangère qui lui a permis de devenir bilingue.

En étant réaliste, il existait déjà un antisémitisme assez marqué en Pologne avant la Seconde Guerre Mondiale. Un cardinal local disait même aux Polonais qu’il était « permis de préférer son peuple » et même « bien de favoriser son peuple, d’éviter les magasins juifs et les étals juifs au marché »… tout en ajoutant qu’il ne fallait pas en arriver pour autant à haïr les Juifs. La frontière est mince et lors de l’arrivée au pouvoir des nazis, les juifs sont peu à peu exclus : on leur attribue d’abord des bancs désignés à l’université… et tout l’entourage de Mietek Pemper commence à fuir la Pologne en pressentant que la situation va mal tourner.

De son côté, il se refuse à être aussi alarmiste mais malheureusement, les conditions de vie des Juifs à Cracovie se dégradent rapidement : on les oblige à se soumettre aux travaux forcés, ils peuvent alors être sollicités à n’importe quelle heure pour n’importe quel motif (et souvent de basses besognes difficiles). On leur fait porter un brassard blanc avec une étoile de David alors même que l’Allemagne n’a pas encore instauré l’étoile jaune.

La route vers la liberté, Mietek Pemper

Mietek Pemper est alors un jeune homme d’une vingtaine d’années à l’intelligence indéniable. Ayant une santé fragile, il comprend rapidement qu’il ne survivra pas à la guerre s’il doit effectuer des travaux physiques et essaie donc de mettre toutes les chances de son côté pour devenir très compétent dans des travaux de bureau. Il est cultivé, parle plusieurs langues, se forme à la dactylographie et à la sténographie allemande, apprend par cœur tous les grades SS… pendant que ses conditions de vie se dégradent peu à peu. Les familles s’entassent dans des logements communs et il partage quelques temps le sien avec le jeune Roman Polanski.

15000 personnes se retrouvent confinées dans un ghetto et les Allemands ont un mode de calcul sans pitié fondé sur le nombre de fenêtres des logements : quatre Juifs par fenêtre. Les familles se retrouvent entassées dans des pièces bien trop petites pour les accueillir tandis que les premières rumeurs commencent à circuler sur l’existence de camps… et sur le fait que certains n’en reviennent pas, victimes d’une mystérieuse « crise cardiaque » peu après leur internement.

Mietek Pemper doit très vite mettre à profit son ingéniosité pour essayer de sauver sa famille des premières déportations. Il parvient par exemple à faire embaucher son père et son frère dans une usine jugée importante pour l’économie de guerre : ne pouvant ajouter qu’un seul nom sur une liste de travailleurs, il a écrit « Jakob Stefan Pemper »… le premier nom étant celui de son père, le second celui de son frère.

Peu de temps après, il fait la connaissance d’Amon Göth, qui se présente d’abord sous un jour très favorable puisqu’il affirme vouloir créer un camp de travail où les prisonniers juifs seront bien traités, avec un suivi médical et une nourriture correcte pour qu’ils soient productifs… Désigné par d’autres détenus comme compétent pour les travaux de bureau, Mietek Pemper est choisi après un bref entretien pour devenir son secrétaire particulier.

Il raconte très largement cette expérience dans son livre : l’espionnage constant dont il faisait l’objet, les brusques accès de colère de Göth qui perdait alors totalement le contrôle de lui-même et pouvait tuer ou torturer jusqu’à la mort ceux qui croisaient son chemin… Il suscitait une telle peur chez les gens que le barbier qui venait le raser a préféré se mutiler volontairement la main droite pour ne plus jamais avoir à s’occuper de lui.

Au-delà de sa violence physique, il était aussi capable d’une barbarie inhumaine sur le plan moral, manipulant les prisonniers pour mieux leur planter un couteau dans le dos ensuite, dressant ses chiens à attaquer quiconque l’approchait dans son dos…

Mietek Pemper lui est vite devenu indispensable, bien qu’il soit juif – ce qui aurait, pour ce SS convaincu, dû constituer un frein majeur. C’est comme si Göth en avait fait abstraction… Pemper travaillait jusque tard dans la nuit sans qu’il soit nécessaire de l’y contraindre ouvertement (on imagine bien que la peur et le désir de rester en vie soient de puissants moteurs pour faire le maximum), il était Juif donc sollicitable à tout moment et pour n’importe quelle tâche.

Au fil du livre, on a presque l’impression que Göth tisse, en solo, une forme de lien de confiance avec ce prisonnier pas comme les autres à qui il dicte ses courriers personnels et auprès de qui il s’épanche parfois. Lorsqu’il se retrouvera, quelques années plus tard, menacé d’une condamnation à mort pour ses actes, il citera même Mietek Pemper à comparaître comme témoin… pour le défendre ! Surréaliste et sans doute profondément narcissique qu’il n’ait jamais pris conscience que la subordination apparente de Pemper n’était motivée que par le désir de vivre.

La position de Pemper était dangereuse car il était au courant de tous les secrets des SS, de bien des secrets concernant le devenir du camp… ce qui pouvait lui valoir d’être éliminé sur-le-champ à tout moment comme témoin gênant. Elle était dangereuse aussi parce qu’il était susceptible à chaque instant d’être victime d’un accès de rage d’Amon Göth qui lui aurait été fatal.

S’il a survécu, c’est d’une part grâce à sa propre ingéniosité qui lui a permis de prendre des risques quand il le fallait tout en bénéficiant d’une bonne dose de chance, d’autre part grâce à sa rencontre avec Oskar Schindler.

Pemper le décrit comme un homme naturellement doué pour les relations humaines, qui savait graisser la patte des nazis quand il le fallait et ne pas aller trop loin pour ne pas être accusé de corruption. Un homme qui gagnait beaucoup d’argent au marché noir… et a par la suite exploité cet argent pour sauver plus d’un millier de Juifs.

Je ne vais pas vous raconter toute l’histoire mais vous découvrirez en lisant La route vers la liberté qu’elle est un peu plus complexe que ce qui a été dit dans La Liste de Schindler. En tant que cinéaste, Spielberg a forcément dû supprimer certains éléments et simplifier certains faits pour que son film ait plus d’impact. Mietek Pemper livre de son côté un récit extrêmement factuel tout en étant captivant et bien écrit.

On réalise qu’à cette période si complexe, il fallait pour s’en sortir déployer une dose inimaginable d’ingéniosité, trouver un équilibre précaire entre de petites combines indispensables, des informations dénichées auprès de personnes fiables, tout en protégeant ses proches et en comptant de surcroît sur la chance pour faire le reste. Avec le recul historique, ça tient véritablement du miracle.

Je vous le disais au début de la critique, j’ai lu ce livre juste avant d’aller à Cracovie et ça lui a donné une résonance particulière car quand on marche ensuite sur les lieux où ces événements se sont déroulés, on les regarde avec le sentiment de comprendre un peu mieux les choses.

C’est un livre rempli de faits mais aussi d’anecdotes qui permettent de s’immerger pleinement dans l’époque : le quotidien des gens, les choix que chacun a faits à son échelle – qu’ils soient bons ou mauvais, la question de l’obéissance aux ordres et de la marge de manœuvre dont chacun dispose pour prendre ses responsabilités au niveau individuel… Je l’ai dévoré du début à la fin, en regrettant que Mietek Pemper soit décédé en 2011 car c’est le genre d’auteur qu’on a envie de remercier d’avoir pris la plume.


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