Le sympathisant, Viet Thanh Nguyen : Prix du Meilleur Livre Etranger 2017


Le sympathisant – Résumé

Vietnam, 1975. La chute de Saïgon marque la fin de la guerre du Vietnam. Quelque part dans la ville, un général de la République du Viêt Nam (soutenue par les Américains) prépare avec son capitaine sa fuite et celle de son entourage, le pays étant désormais aux mains des communistes.

Mais le général ignore que son capitaine est en réalité un homme double, agent secret au service des communistes. Une identité complexe qui le place toujours entre deux cultures… mais qui lui permet aussi de voir le monde sous deux angles.

Depuis les Etats-Unis, le capitaine va tenter de continuer à informer son vieil ami Man, resté au Vietnam… sans éveiller les soupçons de son entourage.


Auteur.
Taille du livre504 pages.
Note – ★★★☆☆

Le Sympathisant, Viet Thanh Nguyen

Le sympathisant – Critique du livre

Bon livre

Viet Thanh Nguyen glisse à la fin de son livre une phrase en apparence anodine mais qui suffit à éveiller toute notre curiosité de lecteur : « Nombre des événements décrits dans ce roman ont eu lieu, bien que je reconnaisse avoir pris quelques libertés avec les détails et la chronologie ».

Le sympathisant, un roman basé sur des faits réels ? Voilà qui a de quoi intriguer, dans la mesure où le héros est un espion au service des communistes ayant pris le pouvoir au Vietnam. Viet Thanh Nguyen est lui-même né dans ce pays, qu’il a fui avec ses parents à l’âge de 4 ans sur un bateau de fortune.

Pour ceux qui gardent de vagues souvenirs de cet épisode de l’histoire, reprenons au début ! En 1946, une guerre éclate en Indochine française, une région qui regroupe le Vietnam, le Cambodge et le Laos actuels. Le conflit se prolonge durant 8 ans et aboutit à l’explosion de cet empire… et à la division du Vietnam en deux territoires, contrôlés par deux gouvernements bien différents.

Le nord du territoire (République démocratique du Vietnam) est placé sous l’égide des communistes tandis que le sud (République du Vietnam) est un régime nationaliste soutenu par les Américains.

En simplifiant, la République démocratique du Vietnam essaie de réunifier le pays (sous le régime communiste, donc) en prenant appui sur le Viêt-Cong, une force armée. Les Etats-Unis interviennent dans le conflit et au terme d’une guerre de près de 8 ans, échouent à apporter des solutions. La ville de Saïgon tombe aux mains de la République du Vietnam en avril 1975… et le pays est réunifié, avec une nouvelle capitale à Hanoï et un régime unique : le communisme.

C’est donc dans ce contexte que notre agent secret entre en piste. Il travaille au service d’un général du sud du Vietnam… et la fin de la guerre est imminente. Les deux hommes savent qu’ils ne disposent plus que d’une courte fenêtre temporelle pour fuir le pays et trouver refuge aux Etats-Unis. Il devient urgent de décider de ceux qui pourront bénéficier d’un passe-droit et embarquer à bord des derniers avions parvenant à décoller vers l’étranger.

L’agent décide d’emmener avec lui un ami d’enfance, Bon, tandis que le troisième membre de leur trio – Man – restera au Vietnam. C’est lui qui recueillera les informations secrètes envoyées par l’agent, une fois celui-ci réfugié aux Etats-Unis.

Hồ Chí Minh, Vietnam

Le livre de Viet Thanh Nguyen est entièrement écrit comme une confession à un mystérieux « commandant » dont on n’apprend l’identité qu’à la toute fin du livre. Evidemment, dès les premières pages, on se demande qui est ce commandant : l’agent secret a-t-il été démasqué ? Le contraint-on à rédiger ses mémoires avant de se débarrasser de lui, témoin encombrant ? Mystère…

A travers la période trouble de l’histoire qu’il retrace, on découvre surtout un homme pris entre deux cultures. Les Américains ne le perçoivent pas comme l’un des leurs, à plus forte raison parce qu’il éveille en eux le souvenir douloureux d’une énorme défaite militaire. Quant aux Vietnamiens, beaucoup le voient comme un « bâtard »… et il doit se construire avec cette identité déchirée, se l’approprier jusqu’à en faire une force.

« Je suis un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double. Sans surprise, peut-être, je suis aussi un homme à l’esprit double. Bien que certains m’aient traité de la sorte, je n’ai rien d’un mutant incompris, sorti d’une bande dessinée ou d’un film d’horreur. Simplement, je suis capable de voir n’importe quel problème des deux côtés.

Parfois je me flatte d’y reconnaître un talent ; modeste, certes, mais c’est peut-être le seul talent que je possède. D’autres fois, quand je constate à quel point je suis incapable de regarder le monde autrement, je me demande s’il faut parler de talent. Après tout, un talent est une chose que vous exploitez, et non une chose qui vous exploite ».

Notre héros affiche une intelligence pénétrante et une sensibilité notable… et en même temps, on ressent chez lui beaucoup de souffrance et une certaine colère contre la société américaine. Pays de tous les possibles en apparence, c’est aussi un lieu où les minorités parviennent difficilement à s’intégrer. Où l’on raconte les histoires en prenant des libertés avec la réalité.

Viet Thanh Nguyen livre notamment une critique acerbe du film Apocalypse Now, notant que les Vietnamiens sont réduits à de simples figurants dont les émotions ont peu d’importance pour peu que ce soit « cinématographiquement acceptable » aux yeux d’Hollywood.

Le sympathisant, je vous l’ai dit, est une confession… et l’on y trouve le côté décousu d’un récit spontané (impossible d’imaginer qu’il a fallu en réalité de nombreuses années à l’auteur pour écrire le roman !). Transcriptions de dialogues informels en faisant parfois abstraction de la ponctuation, épisodes cocasses ou saisissants du passé, récit chronologique plus classique… Sans oublier les surnoms que le narrateur se plaît à donner à ses héros : l’adjudant glouton, le lieutenant insensible…

Derrière certains épisodes qui prêtent à sourire se cachent aussi des réflexions bien plus profondes. Je partage ici quelques mots de l’adjudant glouton, personnage attachant s’il en est !

« Ce pays n’est pas fait pour les faibles ou les gros. Il faut que je commence un régime. Non, vraiment ! Vous êtes trop gentil. Je sais que je suis gros. Le seul avantage à être gros, hormis manger, c’est que tout le monde aime les gros. Oui ? Oui ! Les gens aiment rire des gros, mais en même temps ils ont pitié d’eux ».

Ou encore cette réflexion sur les motivations qui peuvent pousser un homme à tuer sans scrupules :

« J’étais un fils, un mari, un père et un soldat, et aujourd’hui je ne suis plus rien de tout ça. Je ne suis pas un homme, et quand un homme n’est pas un homme, il n’est personne. Et la seule manière de ne pas être personne, c’est de faire quelque chose. Donc soit je me tue, soit je tue quelqu’un d’autre ».

Chose amusante, jusqu’à l’âge de 12 ans je rêvais d’être « espion », ce que j’imaginais comme un métier à part entière. C’est en grandissant que j’ai compris que les agents du Renseignement étaient le plus souvent intégrés à la société. Comme l’écrit Viet Thanh Nguyen dans Le sympathisant, « la mission d’un espion n’est pas de se cacher là où personne ne peut le voir, puisque lui-même ne pourra rien voir non plus ».

Le rôle devient alors infiniment complexe et l’on comprend en lisant ce roman qu’il a une portée qui nous dépasse tant les enjeux qui sous-tendent le Renseignement sont déterminants.

C’est un livre qui alimente beaucoup de réflexions et qui, pourtant, ne m’a pas pleinement touchée. Peut-être parce que cet univers de militaires, de tensions politiques impliquant le Vietnam – un pays dont je sais peu de choses – est trop peu familier pour m’impliquer « émotionnellement »… Ça ne m’a pas empêchée d’apprécier les qualités littéraires du Sympathisant et sa capacité à vous faire réfléchir !

Le livre a récemment reçu le Prix du Meilleur Livre Etranger Sofitel, une soirée qui m’a donné l’opportunité d’échanger quelques mots avec l’auteur. Son sens de l’observation aiguisé m’a frappée… de quoi continuer à s’interroger sur son passé et sur ce qui, dans Le Sympathisant, relève de faits réels !


Cet article est susceptible de contenir des liens affiliés : si vous réalisez un achat sur Amazon via mon site, je serai amenée à toucher une petite commission. Cela ne modifie en rien le prix que vous payez et me permet de tirer un avantage des contenus que je propose ici gratuitement.

Les commentaires du blog sont actuellement fermés.


2 commentaires sur “Le sympathisant, Viet Thanh Nguyen : Prix du Meilleur Livre Etranger 2017
  • Ed

    Hmmm bonne idée de lecture quand on est (comme moi) amoureux du Vietnam et qu’on aime l’Histoire également.

    • Marlène

      C’est certain que ça répond totalement à ces deux centres d’intérêt :) Si vous parlez anglais, Viet Thanh Nguyen a publié d’autres livres sur le sujet, notamment Nothing Ever Dies: Vietnam and The Memory of War chez Harvard University Press.



Si vous aimez les articles du site, n'hésitez pas à faire vos achats sur Amazon.fr via ce lien ; il me permettra de toucher une commission grâce au programme Partenaires Amazon EU.