Amon, mon grand-père, m'aurait tuée - Résumé
Jennifer Teege a 38 ans lorsqu'elle découvre par hasard dans une bibliothèque de Munich un ouvrage consacré à une femme du nom de Monika Göth.
Ce n'est autre que le nom de sa mère biologique, qui l'a confiée à une famille d'accueil alors que Jennifer était encore enfant et dont elle n'a plus aucune nouvelle depuis de nombreuses années. Pourquoi parlerait-on de sa mère dans un livre ? Croyant d'abord qu'il s'agit d'une homonyme, Jennifer comprend rapidement en découvrant d'autres noms familiers - dont celui de sa grand-mère, Ruth Irene Kalder - que le livre est bel et bien consacré à sa famille.
Lorsque Jennifer se plonge dans l'histoire, elle découvre un pan entier de son passé familial dont elle ne soupçonnait pas l'existence : son grand-père n'est autre qu'Amon Göth, le commandant du camp de concentration de Płaszów en Pologne, pendu en 1946 après avoir causé la mort de dizaines de milliers de personnes.
Une telle révélation bouleverse évidemment de manière profonde le regard qu'elle porte sur sa propre histoire, sur son abandon, sur les souvenirs qu'elle garde de cette grand-mère passionnément amoureuse de l'homme qu'elle surnommait "Mony" et que d'autres ont appelé le "boucher de Hitler"...
Auteur - Jennifer Teege.
Taille du livre - 288 pages.
Note - ★★★★☆
Amon, mon grand-père, m'aurait tuée - Critique
Fille d'Amon Göth, elle a grandi dans l'ignorance totale des crimes de son père jusqu'à découvrir brutalement la vérité à l'âge adulte. C'est une femme qui semble brisée, écrasée par le poids de la culpabilité qu'elle porte, à qui l'on a souvent fait remarquer sa ressemblance physique avec son père et qui partageait même avec lui le surnom de "Mony". Jennifer Teege explique justement dans son livre avec un recul fascinant sur sa propre histoire familiale que pour Monika, il n'y avait de place pour rien d'autre que ce passé terrible.
Tant et si bien que Monika Göth a confié sa fille à un foyer lorsque Jennifer était enfant. Cette dernière est née de la brève union entre Monika et un homme d'origine nigérienne. Pendant quelques années, mère et fille ont maintenu des liens jusqu'à ce que Jennifer soit adoptée à l'âge de 7 ans. Sa famille d'accueil a alors estimé qu'il était préférable pour son équilibre psychologique qu'elle n'ait plus de contacts avec sa mère biologique.
Jennifer Teege a toujours eu du mal à créer un lien avec une mère qui ne se montrait ni maternelle ni présente. Elle était bien plus proche de sa grand-mère, Ruth-Irene Kalder, une femme toujours élégante auprès de laquelle elle trouvait davantage le sentiment de sécurité auquel un enfant aspire.
En soi, son parcours présente donc déjà cette blessure propre aux enfants adoptés qui se construisent avec une absence. Même si le bonheur est au rendez-vous dans la famille d'adoption, les questionnements identitaires restent vivaces. Mais pour Jennifer Teege, il faut ajouter une couche de complexité supplémentaire : elle appartient à la "3e génération", celle des petits-enfants de criminels nazis... et le découvre par hasard après avoir vécu presque quatre décennies dans l'ignorance de ce passé familial pourtant si lourd.
Cette biographie, qu'elle cosigne avec Nikola Sellmair, n'est donc pas un livre sur la Shoah à proprement parler et l'auteur reconnaît elle-même qu'elle n'est pas la mieux placée pour aborder cette période de l'histoire sous un angle factuel. Il s'agit davantage d'un témoignage qui plonge dans l'impact psychologique d'un tel héritage sur les générations qui suivent.
À travers les souvenirs qu'elle garde de sa mère biologique - qu'elle a revue suite à ses découvertes - et de sa grand-mère, Jennifer Teege explore la manière dont Amon Göth a affecté leurs existences respectives. Elle réinterprète son passé et son histoire à la lumière de cette révélation, avec beaucoup de force de caractère et d'intelligence. On sent qu'elle a fait un vrai travail sur elle-même et pris suffisamment de recul pour mêler émotions et analyse.
J'ai une fois de plus été très touchée par ce qui ressort de la figure de Monika Göth... C'est comme si sa vie tout entière devait être consacrée à l'expiation des fautes commises par son père, un père qu'elle n'a jamais vu puisqu'il a été pendu quand elle avait 10 mois et était déjà emprisonné au moment de sa naissance.
Jennifer Teege évoque aussi la dualité du personnage de sa grand-mère : Ruth Kalder est connue pour avoir été amoureuse d'Amon Göth jusqu'à son dernier souffle. Quand il a été arrêté puis condamné à mort à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, elle a entamé des démarches afin de pouvoir porter son nom de famille bien qu'ils ne se soient jamais mariés. Le propre père d'Amon Göth l'avait d'ailleurs soutenue et elle est devenue Ruth Irene Göth pendant l'après-guerre, alors que la plupart des gens mêlés aux crimes nazis cherchaient à s'en éloigner. Elle a gardé un portrait de lui près de son lit jusqu'à son suicide en 1983.
Mais pour Jennifer Teege, elle n'était personne d'autre qu'une grand-mère dont elle se sentait proche, toujours très soignée et plus affectueuse que Monika pouvait l'être avec elle. Comment concilier ces deux portraits si diamétralement opposés ?
Si ces questions d'héritage intergénérationnel vous intéressent, le livre "Amon, mon grand-père, m'aurait tuée" sera sûrement une lecture très riche pour vous. Une partie de l'histoire est racontée par Jennifer Teege elle-même et la journaliste Nikola Sellmair prend la parole de temps à autre pour relayer le témoignage de l'entourage de Jennifer ou apporter un éclairage historique sur certains aspects de l'histoire. Deux regards très complémentaires...
L'écriture est fluide et c'est une plongée enrichissante dans une histoire qui fait écho à l'Histoire...
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Ce livre me semble intéressant étant donné que ma grand-mère a été déportée au camp de Ravensbrück. Je comprends aisément que ces enfants portent aussi un lourd fardeau de leur histoire familiale.
Bonjour Mathieu, merci beaucoup pour ton commentaire que je vois avec retard. C’est un héritage sans nul doute très différent à porter mais lourd à sa manière… être l’héritier d’une victime ou l’héritier d’un bourreau.
Les héritiers de bourreaux me donnent l’impression de recevoir une immense culpabilité : ils n’étaient pas là, ils n’ont pas participé aux faits, ils ne cautionnent pas ces faits (dans la plupart des cas, heureusement !)… et pourtant, leur histoire s’y inscrit. Ils ont l’impression de devoir se justifier, comme si le mal était génétique, comme s’ils représentaient une bombe à retardement susceptible d’exploser à tout moment.
J’avais été très touchée par le témoignage de Monika Goeth, la fille d’Amon Goeth et mère de Jennifer Teege, dont j’ai déjà parlé sur le blog. Elle a grandi dans l’ignorance de l’identité de son père, découvrir la vérité a été un choc gigantesque ce que l’on comprend. On ne peut pas leur reprocher qui ils sont et je crois qu’ils se le reprochent bien assez à eux-mêmes. Dans un sens, tant mieux s’ils choisissent de mettre cette culpabilité au service de la transmission de la mémoire, au nom des victimes.