La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez, Prix Renaudot 2017


La disparition de Josef Mengele – Résumé

Juin 1949. Muni d’un document de voyage de la Croix-Rouge internationale, l’ancien médecin d’Auschwitz Josef Mengele fuit l’Allemagne en direction de l’Argentine, sous une fausse identité.

La Seconde Guerre Mondiale lui a laissé le surnom, dramatique, « d’Ange de la Mort ». Affecté dans le camp de concentration d’Auschwitz, Mengele supervisait la sélection des déportés et choisissait parmi eux des sujets pour des expériences médicales défiant toutes les lois de l’éthique.

De l’autre côté de l’Atlantique, il va tenter pendant plusieurs décennies de déjouer les « chasseurs de nazis » qui essaient de retrouver sa trace. Tenter de poursuivre sa vie en toute impunité, aux côtés de nombreux exilés du Troisième Reich qui entendent bien échapper au passé et reconstruire ici un ersatz de communauté allemande nazie avec d’autres nostalgiques du régime…


Auteur.
Taille du livre240 pages.
Note – ★★★★☆

La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez

La disparition de Josef Mengele – Critique

En 2017, nous avons eu la surprise de voir deux livres sur le nazisme couronnés tour à tour : L’Ordre du Jour d’Eric Vuillard par le Goncourt… et La disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez par le Renaudot. Si le premier m’a laissé un avis mitigé, j’ai été captivée par le second.

Olivier Guez s’est immergé dans la cavale de l’un des plus grands criminels de l’histoire : Josef Mengele. Il s’est documenté, s’est rendu dans les lieux où Mengele a vécu, s’est plongé dans les témoignages le concernant… et livre un récit rythmé et passionnant.

Josef Mengele

La vie de Mengele est, à mes yeux, le témoignage d’une cruauté indicible… mais aussi un énorme constat d’échec sur le plan judiciaire, car l’homme n’a jamais été capturé, jamais été jugé et encore moins condamné pour ses crimes, hormis par la vindicte populaire qui le considère comme un porte-étendard du « mal absolu ».

L’histoire de Josef Mengele commence en 1911 en Bavière, dans une famille d’industriels spécialisés dans les machines agricoles. Fils aîné d’une famille de 3 enfants, Mengele fait des études de médecine, décroche un doctorat en anthropologie puis un premier poste d’assistant à Francfort, auprès d’un médecin spécialisé dans les questions d’hérédité et « d’hygiène raciale ». Le concept s’est développé en Allemagne dès le début du XXe siècle… et a largement nourri les théories nazies.

Mengele intègre justement le parti nazi en 1937 et pendant la Seconde Guerre Mondiale, propose ses services à la Waffen-SS… jusqu’à ce jour de 1943 où Otmar von Verschuer, le médecin avec qui travaille Mengele, suggère à son protégé de demander son transfert dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Là-bas, il pourra poursuivre ses recherches génétiques…

La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez

Cette nomination à Auschwitz-Birkenau va laisser à Mengele l’atroce réputation « d’Ange de la Mort ». En toute impunité, il sélectionne parmi les déportés arrivant au camp les cobayes de ses futures expériences. Fasciné par la gémellité dont il tente de percer les mystères, il s’intéresse aussi aux anomalies de croissance (nanisme, gigantisme) ou encore aux maladies rares (noma, difformités physiques, etc), essayant de prouver qu’elles sont la preuve de l’existence de races inférieures.

Josef Mengele ne recule devant rien, faisant fi de toutes les règles éthiques. Il assassine, ampute, infecte ses cobayes avec toutes sortes de virus, injecte des produits chimiques… puis dissèque le corps de ses victimes et collectionne les squelettes.

L’histoire d’une fuite

Mengele aurait dû, naturellement, être capturé à la fin de la guerre. Il aurait dû, naturellement, être emprisonné puis conduit sur le banc des accusés, lors du Procès des Médecins à Nuremberg par exemple. Il aurait dû être condamné à mort, comme l’ont été Karl Brandt (superviseur du programme d’euthanasie des malades et handicapés Aktion T4) ou encore Waldemar Hoven (médecin du camp de Buchenwald)…

Oui mais voilà, Mengele a fui… et le livre d’Olivier Guez nous entraîne dans les coulisses de cette disparition aussi glaçante qu’improbable. Ce qui frappe d’abord, c’est la multiplicité et la puissance des soutiens dont le criminel a bénéficié pour s’exiler en Argentine. Les uns lui ont fourni de faux papiers, les autres ont su glisser quelques pots-de-vin bien placés pour laisser la justice allemande en-dehors de l’affaire, d’autres l’ont aidé à se loger et à trouver un emploi à son arrivée dans le pays, avant de l’introduire dans les cercles nazis locaux.

Le tout saupoudré d’une chance insolente : par exemple, Mengele n’avait pas voulu se faire tatouer son matricule de SS, comme il était d’usage de le faire. Il a donc pu se faire passer sans difficulté pour un « simple soldat » à une époque où, après la guerre, les Alliés faisaient défiler les gens torse nu, les bras en l’air, pour identifier ceux qui portaient un matricule sous l’aisselle ou sur la poitrine.

C’est là le deuxième constat : ces exilés du Troisième Reich ont littéralement reconstitué en Argentine une petite communauté nostalgique du nazisme, qui continue à lire des journaux extrémistes et à se lamenter sur la déchéance de l’Allemagne sans que personne ne vienne les inquiéter… et avec la complicité du gouvernement argentin.

A chaque fois qu’Olivier Guez nous présente ces figures que Mengele croise à Buenos Aires, il évoque leur tragique « palmarès », un nombre de victimes qui rappelle de manière discrète et efficace ce qu’il y a d’inacceptable à les voir ainsi évoluer en liberté.

J’avais déjà vu des reportages glaçants où l’on voyait tous ces nazis d’Argentine vivre normalement et faire le salut hitlérien sur le cercueil de leurs camarades qui mouraient. Dans les années 80. 40 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

La disparition de Josef Mengele plonge justement dans la vie de cette communauté où « un buste d’Hitler égaie le jardin, une croix gammée en granit orne le fond de la piscine »… et où l’on minimise complètement ce qui s’est passé :

« Le cercle Dürer […] se félicite de l’entreprise d’extermination mais n’évalue qu’à 365 000 le nombre de victimes juives ; il dément les meurtres de masse, les camions et les chambres à gaz ; les 6 millions ne sont qu’une falsification de l’Histoire, une énième manigance du sionisme mondial afin de culpabiliser et d’abattre l’Allemagne après lui avoir déclaré la guerre et infligé des destructions épouvantables, 7 millions de morts, ses plus belles cités rasées, la perte de ses terres ancestrales à l’est ».

De l’exil à la cavale

Mengele devient l’ambassadeur commercial de sa famille pour vendre les machines agricoles Mengele en Amérique du Sud et s’enrichit à qui-mieux-mieux.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, en somme… jusqu’au moment où les « chasseurs de nazis » entrent en jeu. La réalité de ce qui s’est passé pendant la Shoah commence peu à peu à émerger dans toute son horreur, les langues se délient, la prise de conscience collective – timide – voit le jour et l’on commence à vouloir traquer ces gens qui n’ont pas payé pour leurs crimes. Eichmann est capturé, condamné à mort et exécuté… et les nazis d’Amérique du Sud prennent subitement conscience qu’ils ne sont plus à l’abri.

Débute alors une nouvelle phase : celle de la fuite, perpétuelle, pour échapper à la justice, à la mort, à ses propres démons… mais Mengele en a-t-il vraiment ? C’est l’une des questions qui hante son fils. En 1944, sa femme a donné naissance à un enfant unique, Rolf. Un fils que Mengele n’a jamais élevé, sa femme ayant divorcé pour épouser un autre homme. Devenu avocat, Rolf connaissait l’identité de ce père encombrant quand il a accepté de le rencontrer en Argentine dans les années 70.

« Son père est Josef Mengele. Il est le fils de Josef Mengele. Rolf doit savoir, pourquoi, comment, les sélections, les expérimentations. Auschwitz. Le vieux n’éprouve-t-il aucun regret, aucun remords ? Est-il la bête cruelle que les journaux décrivent ? Est-il à ce point malfaisant et dégénéré ? Peut-il l’aider à sauver son âme ? Et lui, Rolf, est-il un être mauvais par sa faute ?

Ces questions hantent les enfants de nazis et Rolf Mengele a voulu obtenir des réponses. En Amérique du Sud, il a découvert un homme impénitent, n’ayant aucune conscience de la gravité de ses actes et aucun remords. Réticent à parler de ce qu’il appelle « ces vieilleries », comme s’il s’agissait d’un banal épisode du passé et qu’il est déjà passé à autre chose.

Et comme d’autres, Josef Mengele juge qu’il n’est pas responsable car il s’est contenté « de remplir sa mission ». Après tout, il n’a créé ni Auschwitz ni les chambres à gaz. La vie est tellement plus simple quand on considère que l’on n’a rien fait de mal… Et puis, selon lui, « La pitié n’est pas une catégorie valide puisque les juifs n’appartient pas au genre humain ». Ah.

L’écriture d’Olivier Guez est profondément directe… tout en ayant la subtilité de souligner, par quelques mots justes, la portée diabolique de son « personnage ». Il fait souvent preuve d’une fine ironie. Sous sa plume, l’anodin côtoie l’horreur… et lui donne alors un poids inouï.

« Depuis l’automne 1944, [Mengele] n’a jamais été si mal en point. Les Soviétiques fondaient sur l’Europe centrale : il savait la guerre perdue et ne dormait plus, épuisé nerveusement. Sa femme Irene l’avait remis sur pied. Arrivée à Auschwitz pendant l’été, elle lui avait montré les premières photos de leur fils Rolf né quelques mois plus tôt et ils avaient passé des semaines idylliques.

Malgré l’ampleur de sa tâche, l’arrivée de 440 000 juifs hongrois, ils avaient connu une seconde lune de miel. Les chambres à gaz tournaient à plein régime ; Irene et Josef se baignaient dans la Sola. Les SS brûlaient des hommes, des femmes et des enfants vivants dans les fosses ; Irene et Josef ramassaient des myrtilles dont elle faisait des confitures. Les flammes jaillissaient des crématoires ; Irene suçait Josef et Josef prenait Irene. Plus de 320 000 juifs hongrois furent exterminés en moins de huit semaines ».

La disparition de Josef Mengele est un livre captivant à la fois parce que l’intrigue elle-même est bien amenée et bien documentée… mais aussi parce qu’il vous fait beaucoup réfléchir sur ce qu’était le nazisme. A quel point c’était un mouvement tentaculaire, ayant des ramifications dans les plus hautes instances des gouvernements étrangers, des relais à tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les secteurs professionnels.

Et en refermant le livre d’Olivier Guez, je reste avec cette étrange hésitation à en parler à l’imparfait. Tout ce réseau souterrain gigantesque, qui a permis de « couvrir » non pas un seul mais des centaines de criminels, a-t-il vraiment pu disparaître au-delà des groupuscules néo-nazis dont les médias se font parfois l’écho ?


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4 commentaires sur “La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez, Prix Renaudot 2017
  • VALERIE

    Pas d’hésitation à avoir Marlène ! Il faut en parler au présent… Encore et toujours.
    Si non, que penser de Gudrun Burwist (fille d’Himmler, décédée récemment ) qui a été le leader de Stille Hilfe ( aide silencieuse pour les prisonniers de guerre et les internés) …. C’est effrayant, les pensées nauséabondes sont au présent.

    • Marlène

      C’est assez glaçant de penser que ces idées se perpétuent. Heureusement, il y a aussi ceux qui luttent, comme Niklas Frank, Rainer Hess…

  • Margaux

    Merci beaucoup, actuellement en pleine lecture de ce roman, je ne comprends pas bien ce qu’est le cercle Dürer… pouvez-vous m’en dire plus?

    • Marlène

      Hello Margaux, le nom vient de celui des éditions Dürer, fondées par Eberhard Fritsch. A ma connaissance, Fritsch est né en Allemagne et il a fui en Argentine où il a fondé un mensuel en allemand, Der Weg, dont l’idée de fond était de réhabiliter le nazisme. Il faisait partie de la communauté installée là-bas et vivant dans la nostalgie du régime nazi, il avait d’ailleurs interviewé Adolf Eichmann ce qui a permis de l’arrêter en 1960… En gros, gravitaient autour des éditions Dürer tout un cercle de nazis en fuite, qui avaient recréé en Argentine leur petite vie ordinaire.

      Je conseille d’ailleurs le documentaire La Traque des Nazis sur le sujet, on y voit des images hallucinantes de ces « communautés nazies » d’Amérique du Sud, notamment lors de la mort du SS Walter Rauff au Chili en 1984, où ses « amis » font le salut hitlérien en criant « Heil Hitler » lors de son enterrement. En 1984, donc. 40 ans après la guerre.



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