Les films interdits du Troisième Reich – Résumé
Le documentaire « Les films interdits du Troisième Reich » de Felix Moeller s’intéresse aux films de propagande nazie réalisés la plupart du temps sur commande de Joseph Goebbels, ministre de la propagande à l’époque.
Ces productions cinématographiques, souvent d’une grande qualité technique, ont attiré en leur temps une foule de spectateurs dans les salles de cinéma allemandes et étrangères.
Que faire de cet héritage encombrant ? Faut-il continuer à surveiller le contexte de diffusion de ces films afin de s’assurer qu’ils n’alimentent pas l’antisémitisme et la haine raciale… ou doit-on maintenant les laisser « en libre circulation » afin que n’importe qui puisse les visionner ?
Le documentaire de Felix Moeller ouvre le débat en confrontant des points de vue sur cet épineux sujet.
Réalisateur – Felix Moeller.
Durée du film – minutes.
Note – ★★★☆☆

Les films interdits du Troisième Reich – Critique
On distingue en réalité plusieurs formes de films de propagande :
- Il y a d’abord les documentaires, comme ceux que produisait Leni Riefenstahl (Le Triomphe de la volonté, Les Dieux du Stade) : largement financés par le régime nazi, ils mettent en valeur l’engouement pour le régime ou servent la théorie d’une « race aryenne supérieure ». Certains sont – ce qui m’a beaucoup surprise quand je l’ai découvert – disponibles en vente libre dans le commerce.
- Il y a ensuite les films, de véritables superproductions dans lesquelles on faisait jouer les meilleurs acteurs de l’époque, avec des moyens démesurés pour offrir des films d’une grande qualité… et qui, derrière leur perfection technique, véhiculaient plus ou moins subtilement des messages pro-nazis.
La question de fond posée par Felix Moeller dans son documentaire est simple : faut-il continuer à contrôler la diffusion de ces films comme c’est le cas actuellement… ou pourrait-on les voir en vente libre (à l’instar des documentaires de Leni Riefenstahl) pour que chacun puisse les visionner dans une perspective historique ?
Les bobines originales de ces films sont stockées sous haute protection dans la banlieue de Berlin et, ironie de l’histoire, elles sont extrêmement fragiles et inflammables. Au sens propre comme au sens figuré ! « La gestion de l’héritage cinématographique de Goebbels est problématique », commente le documentaire.
Felix Moeller nous montre en effet à travers des extraits que ces films ont le pouvoir d’attiser une haine antisémite profonde. On découvre par exemple des images du film Jud Süss (Le Juif Süss) sorti en 1940. Le film a été supervisé par Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie… et son réalisateur, Veit Harlan, y propose un condensé de tous les clichés possibles sur les Juifs : des exploiteurs fourbes qui tenteraient de s’infiltrer dans les plus hautes institutions pour étendre leur domination sur le monde et prendre le contrôle de l’argent…
Le film, tiré d’un roman publié en 1925, a été étroitement surveillé par Goebbels à chaque étape de sa réalisation… au même titre que d’autres films de l’époque, comme Stukas en 1941 ou Le président Krüger (Ohm Krüger) la même année.

Ces films disposaient de budgets absolument faramineux – même au regard des films actuels – et permettaient de véhiculer, sous couvert de divertissement, toute l’idéologie nazie : antisémite, antibritannique, antipolonaise… Avec un succès retentissant, qui révèle toute la complexité du débat sur le cinéma nazi : 20 millions de spectateurs ont vu Le Juif Süss en Allemagne à l’époque de sa sortie, le film a même été doublé en français…
Pour vous donner une idée, le film le plus vu en Allemagne depuis 1968 est Le Livre de la jungle avec 28 millions d’entrées, suivi de Titanic avec 18 millions d’entrées. En termes de statistiques, Le Juif Süss se glisserait donc au milieu de ce genre de succès populaire, ça vous donne une idée de la force de frappe de la propagande nazie dans le pays à l’époque… Le cinéma était perçu comme un véritable moyen de soutenir le moral du peuple.
On découvre bien d’autres extraits : le film Les Rothschilds d’Erich Waschneck (Die Rothschilds, Aktien auf Waterloo), encore aujourd’hui utilisé comme film de propagande par les militants d’extrême-droite dont un ancien représentant témoigne à visage caché dans le documentaire ; Heimkehr de Gustav Ucicky, qui tentait de justifier l’invasion de la Pologne.
Felix Moeller a aussi inclus de nombreux extraits de films destinés à la jeunesse. Goebbels décrivait le cinéma comme « moyen idéal d’éduquer notre jeunesse »… et les Jeunesses Hitlériennes, tout comme le parti nazi, organisaient régulièrement des projections pour le jeune public. Dedans, c’est une débauche de scènes de « bons petits Allemands adorant leur Führer » : le gosse qui reçoit avec fierté son portrait d’Hitler pour son anniversaire dans S.A. Mann Brand de Franz Seitz (1933), le gosse qui entonne un chant nazi à la maison tandis que son père essaie désespérément de le convaincre de chanter L’Internationale dans Le jeune hitlérien Quex de Hans Steinhoff (1933).
Ce que décrivent beaucoup de témoins interrogés, c’est la qualité de ces films : bien réalisés, bien joués, mobilisant les meilleurs acteurs de l’époque comme Emil Jannings, à qui Joseph Goebbels versait des cachets mirobolants pour s’assurer de leur soutien sans faille.
Pour ces acteurs, collaborer équivalait souvent à une opportunité unique d’obtenir des rôles de premier plan… et ça rejoint totalement le débat du film Mephisto, où un acteur doit justement choisir entre son sens moral et son ambition.
Felix Moeller montre que la propagande pouvait prendre des formes très différentes. Elle n’était pas toujours aussi frontale que dans Jud Süss.
Dans des films comme Heimkehr, il s’agissait de raconter l’histoire en inversant totalement les perspectives : on montrait dans le film des Polonais persécutant des Allemands, des enfants polonais lapidant une femme, un homme polonais aux dents pourries arrachant à la malheureuse sa médaille nazie… Le but : susciter la compassion du spectateur et justifier l’invasion de la Pologne en la présentant comme une « légitime défense ».

Dans d’autres films, comme Ich klage an (« J’accuse »), sorti en 1941, la manipulation est encore plus subtile : le film raconte l’histoire d’une femme gravement malade qui demande à son mari de l’aider à mourir. Une manière très indirecte d’ouvrir le débat sur l’euthanasie… le but étant de justifier le fait d’emmener les handicapés et les faibles d’esprit dans les chambres à gaz. Le film suggère habilement la mort comme un moyen d’agir « pour leur bien ». La manoeuvre est tellement subtile que ce film ne figure parmi les films interdits que depuis 1990.
Aujourd’hui, ces films interdits du Troisième Reich ne sont diffusés que dans un contexte contrôlé : ils doivent systématiquement être accompagnés d’un débat et être introduits par un spécialiste.
Les points de vue qui se confrontent dans le documentaire sont extrêmement intéressants. Certains pensent que l’on pourrait tout à fait autoriser la diffusion libre de ces films car on a suffisamment de recul historique pour voir à quel point ils sont caricaturaux et ridicules. La diffusion libre pourrait aussi éviter à certains de partir à la recherche de ces films sur le web, avec le risque de tomber sur des sources « risquées » : selon l’un des témoins, la propagande nazie reste particulièrement active sur YouTube.
D’autres mettent en avant tous les dangers d’une telle diffusion sans contrôle :
- D’abord, il y a l’aspect moral de se dire qu’on pourrait tomber sur un DVD de propagande nazie en tête de gondole, au même titre que le dernier Star Wars. Quel constat !
- Ensuite, ce genre de film peut contribuer à alimenter les clichés et stéréotypes sur les Juifs.
- C’est aussi partir du principe que « tout le monde sait » ce qui s’est passé lors de la Shoah. Or, comme l’explique un témoin, les films sont si bien réalisés qu’une personne sans culture historique pourrait tout à fait prendre le film au premier degré.
- Ça pourrait encourager des idées extrémistes chez certains : un jeune souligne que selon lui, ça ne vous transformera pas en néonazi… mais que ça peut tout de même provoquer quelque chose chez le spectateur. Quid de l’impact sur une personne qui serait déjà attirée par des idées d’extrême-droite ? Il existe le risque de nourrir ses théories et, comme le mentionne Felix Moeller, ça pourrait la pousser à croire que si un film est interdit, c’est parce que « la démocratie ne supporte pas la vérité ».
Un survivant de la Shoah explique que selon lui, en période de crise, les gens peuvent en arriver à chercher des coupables et que c’est précisément dans ce genre de contexte qu’un film de propagande nazie devient dangereux. Ça m’a fait penser aux propos de Niklas Frank, le fils du nazi Hans Frank, qui se disait persuadé que la Shoah pouvait recommencer en temps de crise.

Mon avis sur la question rejoint le courant « anti-diffusion libre » de ces films. Il existe une foule de textes et de films problématiques sur la période nazie, à commencer par des textes comme Mein Kampf, l’autobiographie de certains hauts dignitaires nazis (comme Albert Speer), le journal de Joseph Goebbels…
Quand on s’intéresse à la Seconde Guerre Mondiale, il y a forcément un stade où l’on met le nez dans ces documents. La vraie différence entre quelqu’un qui tombe dessus par hasard et quelqu’un qui s’y plonge parce qu’il s’intéresse au sujet, c’est la connaissance. C’est à travers la connaissance que l’on peut prendre suffisamment de recul sur ces documents pour comprendre en quoi ils constituent de la propagande, en quoi ils sont dangereux.
Il y a des livres que je me refuse délibérément à lire car je sais que je n’ai pas encore, à l’heure actuelle, les connaissances nécessaires pour démêler le vrai du faux. Et je ne peux m’empêcher de me dire qu’une personne qui n’a pas ce recul critique ou qui tomberait par hasard sur un film nazi dans un rayon de supermarché, pourrait en tirer des conclusions ou un sentiment erroné et dangereux.
Le débat est intéressant. Si je ne mets que 3 étoiles au documentaire, c’est que j’ai trouvé qu’il restait un peu trop en surface concernant les mécanismes de la propagande nazie. Il montre des extraits, donne quelques explications mais ça aurait mérité à mon sens d’être plus structuré pour aider le public d’aujourd’hui à comprendre les méthodes employées pour convaincre le public allemand de l’époque.
Reste qu’il existe des livres consacrés à l’analyse de films comme Le Juif Süss avec un regard d’historien. Intéressant, à mon sens, pour continuer à nourrir sa réflexion !
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